Frédéric Boyer | le fait d’être humain

« Quelle terreur en nous ne veut pas finir ? » – un indispensable plaidoyer dans les souterrains de la crainte de l’autre


lectures à la lampe de poche, série

On se connaissait certainement, déjà, avec Frédéric Boyer quand en 1999 il m’a proposé de me joindre à l’équipe qui retraduisait la Bible. Il me semblait être trop athée pour m’y lancer, j’ai d’abord refusé, mais je voyais bien comment des amis comme Echenoz, Roubaud ou Cadiot en parlaient, et Frédéric m’a expliqué son mode opératoire : choisir l’auteur en fonction du livre de la Bible dont il s’agissait, le faire en fonction des spécificités propres de cet auteur. Et c’est ainsi que je me suis trouvé associé à l’équipe qui traduisait Jérémie, puis Exode suite à défection d’Emmanuel Carrère (qui travaillait sur L’adversaire à cette époque, ce n’était peut-être pas compatible). Deux ans d’immense apport intellectuel, entre les langues, les fissures de la vieille histoire, les défis de grammaire. La présence active de Frédéric tout au long. Pour lui-même, je suppose, un franchissement décisif : sa traduction de « Genèse » (devenue « En tête ») est plus que remarquable. Il voulait qu’ensuite le même collectif aille voir du côté du Coran – on s’est dispersé, mais ça a été une bifurcation sans laquelle il n’y aurait pas aujourd’hui, peut-être, mon travail Lovecraft.

Frédéric, lui, a continué – Abraham remix, Rappeler Roland... Dans les marques majeures de son parcours à venir, je veux placer sa reprise de saint Augustin (le titre habituel de « Confessions » devenant « Aveux »), et tout récemment, chez POL toujours, un inattendu Kâmasûtra (« exactement comme un cheval fou »).

Et puis voilà cette prose, un seul paragraphe courant sur 40 pages (attention : ma lecture est constituée de 3 fragments disjoints pris à l’intérieur du texte). En ces temps où à nouveau, sur la planète en danger général, se déplacent comme de toute éternité les grandes masses d’hommes qui font les pays et les peuples, s’interroger sur ce qui en nous résiste, ou ce qui en nous est bousculé, parce que se déplacer ne nous est pas possible ou que nous n’avons pas été contraint à le faire. Sur une question aussi lourdement chargée dans les champs politique, économique, écologique, s’en tenir à la question de l’autre.

Cela pose aussi des questions sur l’édition : Frédéric n’a pas de site personnel, mais le site de son éditeur, POL (voir ci-dessous lien vers les plus de 400 vidéos que Jean-Paul Hirsch tourne dans les bureaux mêmes de la maison, dans cette intimité confiante et réflexive) est cette médiation vers la houle du siècle. Déjà au temps de Saint-Simon circulaient ces textes brûlots, textes d’intervention, de réflexion ou de critique. Le texte de Frédéric Boyer, on verra à la syntaxe, aux dessous bruts d’accumulations et récurrences, à la convocation de Dostoievski ou de Shakespeare autant que de Simone Weil, est aussi ou d’abord un texte poétique. Une prose lave, celle qui brûle le dedans de la tête et nous fait voir autrement (ne serait-ce que la totalité d’images dont nous sommes par avance lestés). De mon côté, j’ai choisi la forme du site Internet pour donner lieu à mon travail, lorsqu’il est aussi (comme ici même, en cet instant) réflexif ou retourné sur les contingences du temps : POL s’inscrit dans la vieille tradition du texte d’intervention, imprimé et diffusé sitôt qu’écrit, et mis dans le commerce au prix de 9€ alors qu’il s’agit presque d’un tract politique – en tout cas qui remet la littérature sur les rails du monde.

Et que ça fait du bien non pas seulement pour ce que dit et défend le texte, partagé sans réserve, mais sur la fonction même de l’auteur et sa tâche.


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 Frédéric Boyer sur le site des éditions POL ;
 et ci-dessous : Frédéric Boyer parle de Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?, dans les locaux de POL, filmé par Jean-Paul Hirsch ;
 à lire aussi : Boyer et les dessous de la terreur, par Claro, ainsi que ce billet sur So Q Suricate ;
 image haut de page : William Blake, Nabuchodonosor.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 mai 2015
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