87 | gare Massy-TGV

tags : Paris, Massy, Saclay, 2012, Bergounioux


Ce texte est un fragment d’un travail en cours, amorcé le 20 décembre 2020 et non destiné à publication hors site (pour l’instant).

Le principe est d’aller par une phrase par lieu précis de remémoration, et d’établir la dominante sur la description même, si lacunaire qu’elle soit, du lieu — donc public, puisque bar, bistrot, resto — de la remémoration.

La rédaction ni la publication ne sont chronologiques, restent principalement textuelles, et la proposition de lecture s’appuie principalement sur la navigation par mots-clés depuis la page des index lieux, noms, dates.

Point régulier sur l’avancée de ce chantier dans le journal #Patreon.

 

87 | gare Massy-TGV


Exhiber le dispositif tu te dis, non pas juxtaposer à l’infini les mêmes impressions lacunaires de salles dont il te semblait, sur le moment, les connaître dans un détail imparable, fier même de ta capacité dans un instant précis à décrypter les signes, les silhouettes, comme ce qui circule souterrainement dans un lieu public mais fermé d’individu à individu, chercher à comprendre ce qui pourrait progresser d’une phrase temps et lieu à une autre phrase temps et lieu, ce que tu as déporté ou poussé d’un cran dans le mode d’énonciation, pour mieux t’immerger de nouveau ensuite dans le diffus de ce qu’il y a à reprendre, continuer, la liste qui lentement au bas de ce fichier continue de se déplier et de grandir, convoquer aussi, ici en pleine page à tel moment de ton avancée, le fait implacable de ne pas savoir pourquoi c’est cela que tu appelles : ainsi, ici, sans aucune préméditation quand tu redresses le couvercle de ton ordinateur ce serait cette brasserie à la gare de Massy, peut-être parce que plus haut, ce bistrot de Châtellerault ne pas réussir à reconstituer s’il y avait un stand PMU ou pas, qu’à cause de ça t’es revenu le café du Commerce à Civray où le PMU oui bien sûr mais tu n’en as pas d’image, et dimanche dernier en allant au ravitaillement au Super U de la route de Chinon dans la galerie aux commerces fermés (il y a la même suite habituelle pressing coiffeur qu’ailleurs mais le dimanche matin c’est seulement l’alimentaire qui est ouvert) cette file de bonshommes quand tu es entré comme lorsque tu étais ressorti, la partie brasserie fermée bien sûr et sous rideau de fer mais le petit guichet qui servait de caisse d’autres à leur tour attendaient pour les paris du tiercé, et à Massy c’est ce qui te surprenait puisque toi c’était forcément en pleine semaine il y avait donc des tiercés tous les jours et on pouvait y être accro (on dirait aujourd’hui addict) autant qu’à ces jeux compulsifs à gratter que même le geste compulsif de grattement de l’écran du téléphone portable n’a pas suffi à anesthésier comme il a tué en partie, paraît-il, l’industrie du chewing-gum qui l’aurait cru, la gare de Massy est un ensemble aussi défait que le nombre de personnes qui y transitent grossit exponentiellement, le cube froid de la gare TGV d’un côté, perché deux étages sur les voies souterraines, sombres et infinies, avec au milieu la double voie réservée aux trains qui ne s’arrêtent pas, dans le hall de la gare les machines à délivrer les billets, une salle d’attente où il faudrait se battre en général pour trouver une place, et un comptoir avec café, demis ou viennoiseries industrielles et sandwichs idem mais si tu traverses la cour au long des voies cette fois en surface du RER, et probablement douze ou vingt voies tu pourrais compter si tu faisais la passerelle sur sa longueur, la passerelle nouvelle avec ses escalators, ses portiques infranchissables, son transit direct vers les autobus de la banlieue ou pourquoi pas le TGV (mais la gare TGV s’en moque un peu des transferts banlieue banlieue, ici c’est les taxis qu’on privilégie), et si tu contournes encore c’est le vieux bâtiment de briques rouges façon début de siècle (le mien, pas l’actuel) avec sa passerelle bien plus étroite et ses marches de tôle perforée noires et luisantes de décennies d’usages mais que tu empruntes parfois quand même si des problèmes de billet (pas facile toujours si tu viens d’une gare comme le Guichet ou qu’à Paris tu te sois trompé de tarif) puisque celle-ci de passerelle elle reste totalement poreuse et pour ça que ce n’est pas du tout les mêmes silhouettes qu’on y voit, la passerelle est toujours en service (l’était à ma dernière visite) alors que le bâtiment d’accès rectangulaire en brique rouge — souvenir d’y avoir pénétré pour acheter ton billet, et pris l’escalier intérieur) a été muré, c’est donc en face l’ancienne passerelle et le bâtiment initial qu’est la brasserie traditionnelle avec ses plats du jour, jeux et PMU, et maintenant qu’est fini le très grand chantier de réfection qui va de la gare TGV jusqu’au carrefour face à la nouvelle passerelle c’est un resto de burgers sans PMU ni jeux, mais vitrines et miroirs tape à l’œil en plein et une fois et demi plus cher qui rafle la clientèle, c’est toute cette année 2012 que j’y venais régulièrement, prenant le Massy-TGV de 10 h à Saint-Pierre des Corps (il continue sur Lille et Strasbourg, une rame dans chaque direction à la bifurque de Marne-la-Vallée), puis passant une heure tranquille d’ordi à la brasserie avant plat du jour puis bus pour le plateau de Saclay où nous avions rendez-vous dans ces labos qui sont autant de planètes différentes, le temps donc d’en voir cent fois les nuques puis les visages, des consommateurs de jeux à gratter et conspirateurs de PMU, puis tous les gens de commerce (j’en faisais donc partie) venus pour le hachis-parmentier ou le boudin pommes ou la bavette frites du jour, le personnel a toujours été rapide et irréprochable, quand tu vas pisser après payer tu prends bien sûr ton sac sur l’épaule, incroyable les dizaines et dizaines de personnes qui transitaient là, je ne sais pas si les achats de cigarettes ont vraiment baissé depuis lors, une salle en L avec la partie cuisine et comptoir dans l’angle, le guichet et la caisse du resto juste devant l’escalier d’entrée puisque tout un demi-niveau au-dessus de la rue, récemment j’avais un rendez-vous à la communauté de communes (une commande de textes mais le mien n’a pas pu alors ils m’ont dédommagé de la moitié de la somme initiale), j’ai repris le même train et suis revenu à la brasserie en accomplissant exactement, à la minute près, les gestes effectués huit ans plus tôt, les dos courbés sur grilles et PMU et jeux à gratter c’était le même ballet, la bavette frites toujours dans la tradition avec café en sus et service rapide mais pour moi le cœur n’y était plus : des rituels que tu te crées dans une période donnée et pour un but donné tu ne peux pas les renfiler comme un vieux vêtement, le temps a passé d’ailleurs toi tu reconnais tout mais eux est-ce qu’ils te reconnaîtraient — je me souviens qu’après le rendez-vous ils m’ont déposé gare du Guichet et que Pierre Bergounioux m’y a rejoint, sa grande silhouette cassées à tous les angles quand il courait pour traverser, alors que quel besoin de courir et là c’était une toute petite brasserie vide et calme, j’ai fait des photos mais on distingue peu l’arrière-fond et comptait plutôt ce qu’on avait à se dire.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 janvier 2022
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