72 | lire Rimbaud à Prague, 1979

tags : Prague, 1979, Arthur Rimbaud


Ce texte est un fragment d’un travail en cours, amorcé le 20 décembre 2020 et non destiné à publication hors site (pour l’instant).

Le principe est d’aller par une phrase par lieu précis de remémoration, et d’établir la dominante sur la description même, si lacunaire qu’elle soit, du lieu — donc public, puisque bar, bistrot, resto — de la remémoration.

La rédaction ni la publication ne sont chronologiques, restent principalement textuelles, et la proposition de lecture s’appuie principalement sur la navigation par mots-clés depuis la page des index lieux, noms, dates.

Point régulier sur l’avancée de ce chantier dans le journal #Patreon.

 

72 | lire Rimbaud à Prague, 1979


L’effort donc pour remonter dans le temps aurait à s’appuyer sur ces contextes d’outils et de techniques pour retrouver les images précises de ce qui t’entourait, ainsi à penser Prague ce mois de juin 1979 (la date exacte non je ne l’ai plus, mais qu’on me laisse partir seul en chantier c’était après le premier séjour de quatre mois à Bombay et là j’en suis sûr c’était de début février à fin mai), ce sur quoi tu vas arrimer la mémoire — puisque de l’usine par exemple tu en revois si peu, ah si : une file de très jeunes gars chacun sur tour ou fraiseuse à la ligne, et puis que tu logeais non pas dans un hôtel mais des chambres d’un centre d’apprentissage directement lié à l’usine, ceux qui se formaient pour ces alignements de tour et fraiseuse justement, question boulot une fois arrivé, légèrement anxieux (une explosion dans le local où était installée la machine), découvrir que non, juste un problème administratif : dans ce monde encore lourdement socialiste, pas de dérogation possible pour acheter chez Sciaky, alors qu’ils avaient pu cinq ans plus tôt faire venir la machine elle-même, les consommables ou pièces d’usure, anodes, oscillateurs, servo-moteurs alors qu’une faille bureaucratique permettait ces achats en cas d’accident soudain : dans les dix jours que j’y passerais (les pièces envoyées le même jour que je partais, et j’avais à charge de récupérer et d’installer, Air France les avait par erreur envoyées à Tel Aviv, elles reviendraient à Paris avant de repartir, mais chaque fois avec des délais de douane et transit), je n’avais donc rien à faire — le matin, mais tôt, à l’heure où commence le travail d’usine, j’étais dans le réfectoire du centre d’apprentissage et c’était goulash pour tout le monde, on compléterait d’un café moulu ensuite, une fois dans le local avec la machine faussement malade (mais les gars arrêtés pour bien le prouver) et avec moi mon interprète, un petit bonhomme au bord de la retraite, fraiseur de son état, originaire de Brno (en tout cas Slovaque et non pas Tchèque) mais qui m’initierait aux événements pragois de 1968, aux lois secrètes ici de ce qu’il y avait à taire : non pas qu’il eût parlé français mieux que moi je bafouille en italien ou en allemand, mais ces dix jours hors de sa machine et la goulash du petit-déj’, et parler de l’histoire de son pays, de sa famille dans la guerre et de comment nous dans notre occident tranquille on réussissait mieux qu’ici à oublier tout ça lui convenait à merveille, on s’entendait bien et il fallait simplement que je reste assez de temps dans l’atelier pour qu’ensuite il ait légitimement droit à sortir avec moi de l’usine, et qu’il reparte à sa propre chambre dans le centre d’apprentissage — il y avait droit malgré son âge et sa qualification, en tant qu’ouvrier chevronné mais célibataire, et qu’il assumait avec les jeunes des heurs d’initiation et formation — tandis que je partais explorer la ville, lesté chaque jour d’un bout de plan qu’il m’avait établi avec ses suggestions, lui marcher ce n’était pas trop son affaire : mais ce réfectoire avec la goulash voilà ce qui me restait, et du point de vue communication sans doute quelques Telex (on appelait ça comme ça, avant que les « fax » prennent le relais), donc télégrammes qu’on s’expédiait sans intermédiaire d’établissement à établissement, le temps qu’on règle ce transit de pièces détachées — les gars qui s’occupaient, dans cette usine d’aviation « Motorlet » comme nos autres clients français, Dassault ou Snecma, de ressouder sur les réacteurs d’avions civils ou militaires, au bout de quelques centaines ou milliers d’heures de vol, de nouvelles pales de titane sur les rotors de réacteur, connaissaient bien mieux leur boulot que moi, ils le comprendraient vite et c’est d’eux que j’apprendrais, même ayant déjà fait ce genre d’intervention justement chez Dassault Pessac ou Snecma Corbeil, de quoi je vous embête avec ça : mais c’était un temps où on s’écrivait encore des lettres et le téléphone une vague utilité qui, à l’étranger, ne servait plus de rien.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 16 janvier 2022
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