retour chez les Médicis
(août 2003)

retour François Bon, journal images

 


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c'était en septembre 1984, j'étais arrivé depuis Marseille par le train de nuit, je m'étais fait piquer au passage mes papiers et mes sous par des Américaines descendues à Pise (sympa, elles m'avaient laissé mes lunettes de myope, dans ma pochette remplie de papier toilette "buon viaggio" jetée par terre dans le compartiment, m'avaient laissé aussi mon Pléiade Montaigne, je me revois arrivant avec Montaigne à la main pour tout bagage!) - j'avais publié 2 ans plus tôt mon 1er livre, et accumulé plus de 400 pages d'un gros manuscrit, dont Jérôme Lindon n'avait pas voulu dans l'état, mais qui éclaterait dans plusieurs des livres publiés ensuite, dont "L'Enterrement" - des amitiés fortes, et qui restent, celles d'architectes, de musiciens, de plasticiens et chacun tenait à initier l'autre à ses valeurs plus secrètes, à ce qu'il faut évacuer de séduction pour se concentrer sur plus difficile (Scelsi découvert via Suzanne Giraud, Scarpa grâce à Bernard Desmoulins, et les équipées sculptures avec Frédéric Bleuet, la table ouverte des Peaucelle) - beaucoup de voyages aussi, au hasard des trains, une chambre solitaire en bout de parc, avec une terrasse hantée par les chats faméliques du Pincio - un peu de blues électrique avec le graveur Jacques Muron (nos discussions sur Keith Richards, il me faudra 18 ans pour les concrétiser!) - Fellini qui parfois se promenait dans le parc, Balthus aux mains tremblantes qui passait nous saluer, et dans le creux de l'après-midi, la tête un peu tournante des lectures ou des pages, s'immerger dans la ville au-dessous, visiter une énième fois tel Caravage, attendre le soir dans l'île du Tibre ou le Trastevere... comme tous ceux qui ont traversé la villa Médicis (je suis resté un an, jusqu'en septembre 1985 où je publierais "Limite", écrit là-bas), c'est évidemment une marque considérable, même si tue, même silencieuse, dans un parcours de vie - la Villa a changé, moins de pensionnaires, et dans la cour des luxueuses soirées Total Vodka ou des défilés de mode pour amortir - mais quand même une magie qui vous reprend comme si on mettait exactement ses pas dans les traces d'il y a bientôt 20 ans -

Quand on a habité la villa Médicis, qu'on y a accompli une fois le cycle entier des saisons, les mêmes fantômes vous assaillent, dès qu'à nouveau on est dans le parc. Les chambres et ateliers des pensionnaires gardent le même dépouillement austère, les statues veillent au coin des allées, on vient revoir sa chambre. Et dans celle où vous logez, la lumière égale de la verrière au nord, au-dessus du chevalet de peintre qui accuse bien son siècle et demi de bons et loyaux services...

L'impression la plus forte, et que je retrouve intacte, c'est cette magie de la ville qu'on surplombe, la ville complexe et bourrue, touffue, avec ses toits, terrasses, coupoles, les six autres collines bien en vue, et les monuments du Capitole à St-Pierre, via le mystérieux Aventin... Depuis la chambre 10, sous deux angles de vue fixes, je prendrai avec le numérique une photo toutes les dix minutes, toute cette tombée du soir, quand le soleil se fait rasant.

La villa Médicis a été restaurée, plus de fissures, et un blanc éblouissant remplace le vieil enduit ocre, il faut s'y faire. Comme à l'utilisation de la terrasse et de la cour d'honneur pour des présentations de mode, ou de nouvelles automobiles. Balthus et Debussy ne sont plus là pour dire ce qu'ils en pensent, les deux avaient la dent dure, et mon vieux copain Frédéric Bleuet je ne l'ai pas croisé dans les allées, pourtant je l'attendais presque, avec le goût raide du vin blanc des quartiers populaires qui revenait. N'empêche que la nuit (me souvenant de ces nuits d'hiver, dans la nuit opaque, ou dans telle brume d'automne, qu'on ne reconnaît même pas qui on croise), le parc a vraiment 400 ans: depuis le temps que dans ces allées on rêve.... Je me souviens des admirables photographies que François Delebecque avait fait de Niobé et ses enfants de marbre. Ou des équipées clandestines dans les greniers, à fouiller les archives et exhumer de vieux travaux, les visages des pensionnaires célèbres ou parfaitement oubliés...


Bien sûr j'ai salué Chateaubriand, longtemps regardé la ville la nuit, et je me suis souvenu des réflexions encaissées à l'époque sous prétexte que j'amenais avec moi une machine à écrire électrique, ce qui ne s'était jamais vu, à peine dans les bureaux de l'administration ! maintenant, les artistes invités ont leurs ordinateurs portables, on les joint par Internet, il y a un vidéo-projecteur : et le boulot, devant soi, n'en est pas facilité pour autant d'ailleurs.

Très fier de trouver là Tanguy Viel, arrimé à sa passerelle: c'est comme revivre par procuration ce à quoi on a été soi-même initié, et qu'on ne pourra plus revivre. On lui souhaite des heures favorables, à l'ami Tanguy. Dans sa chambre, on a indiscrètement remarqué Conrad, Faulkner, Agamben... et Saint-Simon. Résultat chez Minuit l'an prochain?

 

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