contribution auteur | Cécile Camatte

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Musicienne de profession, j’écris et photographie à mes heures trouvées…
Site : cecilecamatte.com.

Ses contributions à l’atelier ville.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 8

Louison Zampa

Née à Blénod-les-Pont-à-Mousson en 1950, Louison Zampa (de son véritable nom Steinbock), aimait dessiner depuis toujours. Et détestait la sidérurgie à laquelle elle voulait échapper à tout prix. Mais quand elle est devenue mère involontairement vers 1971, le père de son enfant n’a pas eu d’autre choix que de travailler à l’usine de fonderie du coin. Le couple recevait quotidiennement le journal. C’est un jour où elle a vu son fils faire des boules de papiers avec des feuilles du journal et puis les réouvrir qu’elle a décidé d’inclure désormais dans ses tableaux de la matière papier. Le même jour, elle a trouvé son nom d’artiste. Dans ce même journal. En lisant un entrefilet où le décès du criminel marseillais Tany Zampa était relaté. Elle a longtemps peint la colline de Mousson avec des couleurs diverses dans des tableaux où du journal froissé, écrasé et collé est inclus. L’année qui a suivi son décès précoce (arrêt cardiaque), son fils a pu organiser une exposition des tableaux de sa mère à la salle communale de la ville où celle-ci était née. La mairie, à l’issue de l’exposition, a acheté un tableau aux couleurs nombreuses. La colline de Mousson y figure. On peut découvrir, à sa base, si on est attentif, le mot « c’était ».

Madeleine Sicard

Elle a traversé sur le passage clouté au mauvais moment. Morte sur le coup. Son corps s’étalait en majeure partie sur les bandes blanches. Depuis, l’arbre proche semble la pleurer en ne poussant pas vraiment droit. Le chauffard a dit qu’il ne l’avait pas vu à cause de la brume.

Louise Bonhomme

Elle s’est mariée jeune avec son amour de jeunesse. Ils ont eu une seule fille, Julie. Louise est une bonne mère au foyer. Elle cuisine très bien, beaucoup de légumes à chaque repas. Et elle aime préparer d’excellents goûters avec sa fille et les amis de celle-ci. Elle fait beaucoup de sport. Ne fume pas. La maison est toujours très bien tenue. On peut y venir à n’importe quelle heure, on a toujours l’impression que le ménage vient d’être fait. C’est en 1995 que son cancer du sein s’est déclaré. Ce fut difficile pour toute la famille. La perte des cheveux, les rides soucieuses apparues sur les trois visages. Le début de la vie d’adulte de Julie s’est hélas construit avec le décès de Louise, des suites de cette longue maladie. Louise a cessé de cuisiner pour tous en 1996.

proposition n° 7

Ma tête est en recherche. D’une idée, d’une amorce, d’une sorte de plan pour le texte à venir. Ça travaille, en fond. En ramassant le bois pour le poêle, en préparant puis en faisant le feu, en tournant la cuillère dans la casserole où la soupe se réchauffe. « Ça » se cherche. C’est plus ou moins défini. « Ça » bosse dur au dedans. Finalement, quelques notes seront posées dans le grand cahier à la couverture cartonnée rose à rayures blanches. Avec le premier stylo venu, trouvé sur la table ou dans une des deux trousses posées sur un de mes bureaux. Le grand cahier aux feuilles à petits carreaux. Il a trainé dans un tiroir de mon bureau pendant des années, il venait de mon adolescence. Les premières pages étaient remplies de textes en alexandrins écrits avec une écriture appliquée, au stylo plume. Un jour j’ai décidé qu’il était temps que ce cahier retrouve son usage. J’y pose mes ébauches. Et j’ai brûlé les premières feuilles.

Plus tard, je vais marcher. Je suis bercée par mes pas réguliers, par le silence, par ma solitude nécessaire, par la nature qui m’entoure. Au bout d’un moment, « ça » va reprendre son travail, mais tout devient plus précis. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Il y a eu au moins une nuit, voire quelques jours. C’est le temps du mûrissement de l’idée, de l’amorce du texte, du plan. Dans ma tête l’échange avec moi-même est bien plus clair et plus décidé. Je me parle mieux. Je soupèse, mémorise le déroulement que je veux donner à mon idée. Quelquefois une phrase arrive et me semble vraiment bien, alors je sors mon iPhone, je cherche le Dictaphone et j’enregistre la phrase qui a surgi de mon imaginaire.

Me voilà prête à écrire. Je le sens. J’ouvre mon cahier, relis mes notes. J’écoute éventuellement ce que j’ai enregistré. Souvent je ne l’utilise pas. J’ouvre mon ordinateur ou ma tablette. Et j’écris, directement. C’est la procédure pour un texte long en prose. Pour la poésie je reste fidèle au cahier, je ne sais pas trop pourquoi c’est différent. Pour la poésie j’aime le stylo ou la plume qui glisse. Et puis je crayonne, je biffe, j’efface, je rature. Au bout de tout cela le texte court va surgir, le plus dense possible. La poésie, c’est comme une sauce très concentrée en goût qui a mijoté longtemps. La poésie écrite à mon âge actuel a d’ailleurs besoin de ses carnets et/ou cahiers propres, plus petits que pour la prose.

Il y a le besoin du silence. Du silence d’où vont être issus les mots. De légers petits sons surgissent délicatement cependant. Le tapotement du clavier, les doigts qui circulent plus ou moins vite de part et d’autres de la tablette. Quelquefois une pause, d’autres fois non. Parfois un son un peu différent qui signifie une correction. C’est la seule musique présente lors de l’acte d’écrire. L’écriture aujourd’hui n’a plus besoin d’une musique extérieure pour être reliée à l’intérieur de moi. Le lien est plus direct, je l’ai reconnu. Oui, il y a un espace d’écriture qui existe en moi, il vaut ce qu’il vaut, j’aime lui consacrer du temps, le laisser s’exprimer, parler. Désormais cette voix jaillit mieux dans le silence. La table d’écriture par contre, elle, n’a pas changé. Sauf à de très rares moments de ma vie, c’est celle du repas. Les mots pleins, nourritures de l’esprit ont besoin de cet espace. Ils s’expriment plus aisément me semble-t-il sur cette table —qui peut être pourtant chargée— que sur les deux bureaux où je range mes cahiers. Il y a eu le temps où écrire se rythmait par une blonde consommée avec délice, la nuit. Depuis désormais 14 ans que je ne fume plus, il me faut beaucoup de lumière et choisir le moment, le jour. Mon changement de regard qui va quitter l’écran pour regarder la fenêtre va raconter ainsi une hésitation, un cheminement, un peut-être, un mot qui se cherche. Mon regard se déplace, regarde mais ne voit pas. Il est tourné vers le dedans, il écoute mon « ça » qui écrit et offre la tournure d’une phrase, un personnage, ou une expression la plus juste possible d’un quelque chose, peut-être pensée ou émotion. Il regarde le mur, la fenêtre ou un meuble mais pourtant fouille à l’intérieur. Du crâne, du cœur ou de l’esprit. Neurones qui s’agitent, cogitent, donnent naissance à des phrases, un texte, un mieux ou un raté, un « à revoir ». L’idée qui jaillit se pose et je la pose directement. Même si je sais qu’elle n’est pas habilement écrite.

Poser, déposer, laisser aller. Ne pas anticiper la pensée avant de laisser les doigts chercher les lettres. La source de l’écriture où qu’elle soit doit s’exprimer le plus directement possible. Sans doute est-ce pour cela que je n’utilise le grand cahier que pour les notes. Je veux cracher les mots, les laisser partir au plus vite. Qu’ils soient issus au plus près du de la source, de ce « ça » du dedans de moi qui aime les mots et la lecture au point d’avoir voulu écrire.

proposition n° 6

On peut lire « c’était ». À la base, ici, au coin d’une pliure. Un mot qui surgit du tableau, si on sait regarder. Du journal collé, des couleurs déposées. Puis : « c’était ». Impossible de remarquer le mot si l’on ne détaille pas le tableau avec attention. Il est petit, discret. Il faut d’abord remarquer la montagne, les crêtes, le vent qui explicite le dénuement de la dune. Oui, la montagne est en fait une dune. Et puis alors tout au bout du trajet effectué par l’oeil surgit ce mot, vers le bas de la montagne. « C’était ». Il y avait un avant, donc, peut-être même un avant le vent alors. La montagne aurait donc été fertile, nantie d’une incroyable végétation, de mille nuances de verts ? La montagne aurait été pleine de sons, d’orchestrations moirées au sein desquelles rugiraient d’étranges fauves, de beaux oiseaux et des myriades d’insectes étonnants ? Une montagne amazonienne. Oui mais... « c’était », oui, oui, avant. Avant le vent qui a isolé, érodé et transformé la montagne en une dune tracée d’un seul trait. Et le silence du tableau n’est illuminé maintenant que par le vent de temps en temps. Il ne se manifeste que si on sait bien regarder la dune. Alors, au pied de la montagne, il y a ce mot, qui résonne. Peut-être est-il tombé. Peut-être a-t-il été révélé par le vent. Reste qu’il nous ouvre des portes. « C’était » quand il était enfant, peut-être. Et qu’il était amoureux de Julie. « C’était » avant qu’il ne se gare cette nuit-là, tandis que la brume trouait d’écharpes blêmes et blanches la petite ville. « C’était » avant que Mère-grand soit avalée toute crue. « C’était » avant que ce mot ne soit isolé, qu’il ne se perde sur cette surface plane où règne une bizarre montagne aplatie. « C’était », là où un vent silencieux résonne et chuchote des récits à ce mont. Un « c’était » noir, en petits caractères. Écrits sur un papier plié, froissé. Un « c’était » de journal, qui raconte, prévient, annonce. Un peu sale. Lettres d’imprimeries qui ne semblent pas moins étranges, pourtant. Un « c’était » fataliste, énigmatique. Qui porte vers un étrange, un ailleurs. Une porte qui fait voyager dans le passé. Oui, c’était elle, mon premier amour. Oui, c’était cette petite ville que j’ai tant aimé, mon foyer. Oui, c’était mon conte préféré. Oui, « c’était ». Il regarde ce mot inscrit dans le tableau réalisé par sa grand-mère, si artiste, ce mot qui l’hypnotise et le fait voyager. Le seul mot qui existe et que l’on peut lire dans ce tableau un peu abstrait. Il passe son doigt délicatement sur les formes du papier que son aïeule a froissé et collé. Il devine bien sûr qu’elle n’a pas choisi d’inscrire cette porte temporelle au pied de la dune de façon délibérée, mais il aime que ce mot apparaisse, le trouble, le gêne presque. Il est si net, au sein de ce tableau. Ailleurs les mots, les phrases sont illisibles. Seul le trait de la montagne est net. Et puis il y a « c’était ».

proposition n° 5

Une voix d’enfant. Féminine, fine, souple, au timbre qui s’envole dans l’aigu. Une voix à l’amplitude émotionnelle importante. Qui peut passer rapidement du rire aux pleurs. Du calme à la tempête. Le bruit soyeux des courses sur le gazon. Sa voix à lui qui résonne et envahit l’air quand il crie de joie, quand il s’amuse follement. Ils ont 8 ans. Visages ouverts. Œil pétillant. Bouche moqueuse. — Alleeeez. Pousse moi... Moue boudeuse. Lèvres un peu gonflées sur le côté par l’air amassé dans le bord des joues. Lui qui souffle. Ronchonne. — Mais ça fait trois fois déjà que je te pousse Juliiiieeee... La voix se plaint. Monte et descend. Finalement, elle grince aussi un peu, comme la balançoire. Le débat qui se poursuit. Au milieu flotte son amour pour elle. Son cœur qui se pince et qui grince. Elle qui tient le cœur. Le froisse, puis le câline. Les phrases qui jaillissent. Voix rondes d’enfants. Aigu joyeux et sonore. Timbre désabusé. Silence d’un câlin. Chuchotement d’un amour. Main dans la main. — On dirait alors que c’est moi qui te pousse. Toi tu serais dans un avion. Lui qui sourit. Enfin. Sa main à elle, régulièrement touche son dos. Son visage qu’elle ne voit pas. Et ses yeux fermés car c’est plus fort ainsi. Le sourire flotte dans l’air. Elle le pousse. Il s’envole, vers elle bien sûr. Dos tourné cependant. — Encore un peu plus fort. Les rires éclatent dans le jardin. Ils tapent contre la barrière et retombent avec grâce sur le sol. Les voix et les rires du bonheur, de l’enfance et du jeu. Et puis cela se calme. Ils sont côte à côte. Lui sur la balançoire, elle debout tenant une chaîne dans sa main. — Je voudrais te chanter quelque chose. — D’accord — Je connaaais les brumes claaaires... — Oh non, pas cette chanson, j’en ai marre de Belle et Sébastien. Jouons à cache-cache. — Mais non, j’ai pas envie. Je veux du calme. La dispute qui recommence. Ce parfum de l’enfance riches de moments d’éclats de voix dans ce jardin. — Cache-cache ! — Non. — Mais alors on va faire quoi, j’en ai marre de jouer à la balançoire. — Tu rigoles, je t’ai poussé trois fois alors que moi tu l’as fait qu’une fois. — oui mais aujourd’hui je suis fatiguée — Oui mais aujourd’hui je suis fatiguée... Il répète la phrase en se moquant. Voix un peu nasillarde et plaintive. — C’est pas gentil de m’imiter comme ça. Elle, visage fermée. Regard buté, dirigé vers le sol. Il n’y a plus d’éclats de rires jouant avec l’herbe. Silence. — Tu boudes ! Ça sert à rien de bouder. C’est maman qui le dit. C’est du temps perdu. Allleeeezzzz, fait pas la tête... Silence obstiné. — T’es pas marrante ! Moi j’ai pas fait la tête quand tu voulais pas me pousser. Alleeeeez, parle—moi.... Il affronte courageusement le dos raide et lui tapote l’épaule. — Il faut parler pour se comprendre. Et sans dialogue, qui va choisir ce que vous voulez faire maintenant ? Julie, enfin, relève la tête. Impossible que vous ne vous chamaillez pas tous les deux !! Et si je vous proposais de venir fabriquer les gâteaux du goûter avec moi les enfants... Il se rappelle, la voix pétillante et chaleureuse de la maman de Julie. — Ouaaaaaiiiis. Il a jailli des deux corps au même moment. Unisson du plaisir anticipé de ce moment. De la pâte crue qu’on va goûter un peu. Du doigt qui traînera bien ici ou là dans une gamelle. De l’odeur qui envahira la maison et qui ouvrira encore un peu plus l’appétit. Des sablés ronds encore qui refroidiront le temps de mettre la table du goûter, le temps de la lecture d’une histoire ou d’un dessin à faire.

proposition n° 4

Une route qui tourne, et des phares qui la dévoilent. Bitume fatigué, tout comme celui qui conduit la voiture blanche. On est au cœur de la nuit. Il fait humide et de la brume apparaît, s’immisce ci et là. Plus il avance dans la rue principale, plus la brume devient présente en nappes flottantes, damier fantasmagorique au-dessus du sol, à des hauteurs diverses. Il se dit que les vieux fantômes l’accueillent. Feu rouge. Voilà que son œil se pose et remarque comme la petite ville se trouble, se désincarne dans certaines zones. Là, un pan de mur entier disparaît. Peut-être est-ce un mirage, un passage qui s’amorce vers un ailleurs ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Ce lieu plutôt commun, coquet, fameuse « ville fleurie » prend une allure plus mystérieuse, plus troublante avec ces nébuleuses apparues au cœur de l’obscurité. La maison de Julie se distingue à peine : une unique barrière commence dans un nuage, puis après une incarnation rapide est de nouveau avalée par la nuit, par ce brouillard. Au travers du silence nocturne les phares trouent et déchirent ces écharpes denses et effilochées à la fois. La présence de l’ouate semble rendre l’absence d’humains dans les rues suspicieuse.

La maison de Julie. Le vert rieur du jardin. La balançoire où l’on passe chacun son tour et où l’on se dispute aussi, à vouloir se balancer encore un peu, rien qu’un petit peu encore. La sous-tasse vert tendre qui va avec la petite assiette qui ressemble à une fleur. La cuisine de la maison qui sent si bon. Le verre qui sert d’emporte pièce pour les sablés gourmands. Le chignon un peu penché, maladroit, piqué d’un crayon. Les beaux yeux sous celui-ci, sombres, attentifs ou pétillants. Dans la maison de Julie, les temps de l’enfance comme de l’adolescence s’y sont déclinés avec force et bonheur. Même les jours de brouillard. Car l’eau du fleuve est trop près de la petite ville. Même les jours de foire quand trop de jeunes garçons regardaient Julie. Même quand mémé est morte. Même quand il pleut et qu’il devait rester chez lui, avec ennui.

Peut-être que ces nuits de voyages, brumeuses, n’existent que pour nous rappeler que la vie n’est qu’un passage, un moment avec ses moments d’évidences et ses heures de flou, de dissimulations et d’hésitations. Peut-être que ces voyages existent pour nous rappeler l’ambivalence du tangible et que tout n’est qu’interprétation. Peut-être que la brume existe pour nous parler de la beauté de ce qui se dévoile, de ce qui peut apparaître, jaillir. Peut-être la vie n’est qu’un trajet de poétique du présent, de ce présent immuable qui nous accompagne et nous emmène on ne sait où.

Et si écrire n’était aussi qu’un trajet, une ligne d’encre qui coule, se brise, s’étire, se délie puis rencontre du silence. Un espace avec des blancs. Ces blancs libres d’être chargé de symbole ou d’émotions, ou de questions par celui qui lit. Les espaces seraient les bancs de brumes, la ligne noire une route plus ou moins sinueuse, escarpée, joyeuse ou nerveuse. Une nuit qui s’étale, fine, insidieuse. Un bruit de plume ou de stylo qui s’incarne et voyage sur le papier. Un bruit de plume qui serait comme le moteur d’une voiture. L’écriture alors pourrait être comme une musique, un rythme doux de samba, ou un jazz nostalgique et sensuel. L’écriture serait ce disque noir qui gratte un peu. La plume qui pose chaque mot nous emmènerait un peu plus vers cette musique. Cette musique qui s’enrichit alors de légers craquements, comme un diamant qui tourne et offre en surimpression à la voix son propre son. L’écriture riche en plein et en déliée, ligne fine qui trace sa route sur cette page ne deviendra pas un disque noir, un 33 tours, bien rond, qui tourne, tourne, et craque. Non, l’écriture qui chante en posant ses mots deviendra un réseau de routes noires fines sur le papier, un réseau avec aussi des silences qui feront voyager le lecteur.

proposition n° 3

C’est l’histoire d’une très jolie jeune fille, fort bien élevée. Sa mère-grand l’adore, au point de lui avoir fait faire un charmant chaperon rouge. Justement, la jeune fille va rendre visite à son aïeule, lui apportant un morceau de galette et un peu de beurre. Dans la forêt, elle rencontre le loup. Elle parle avec lui et lui donne toutes les indications pour aller chez sa mère-grand. Le loup s’y rend illico, et mange la vieille dame. Il tend ensuite un piège au petit Chaperon Rouge, et grâce à celui-ci, la dévore aussi.

Il existe des versions sans galette, ni beurre. La demoiselle ne va peut-être voir sa mère-grand que pour le plaisir d’aller la voir, et peut-être même simplement pour lui montrer comme elle est jolie avec son Chaperon. Dans cette vieille, vieille version, le loup ne mangera pas complètement la grand-mère. Ainsi, se faisant passer pour elle ensuite, il fera boire du sang et manger de la viande au petit Chaperon Rouge. Quant aux dents trouvées dans la chair ? Mais... ce sont des haricots !

Il s’est réveillé d’excellente humeur ce matin. Depuis qu’il a quitté la meute afin de pouvoir fonder la sienne, il est toujours de très bonne humeur. Prêt à partir à la recherche de la louve de sa vie. C’est le printemps, ou plutôt plus vraiment l’hiver. La neige a disparu et des fleurs recommencent à pousser. Le gibier également commence à se faire de nouveau sentir : il a reniflé quelques pistes. Mais pour l’instant, il est encore absolument affamé. Rien mangé depuis qu’il s’est séparé de ses semblables. Il sent un lapin. Il l’imagine si mignon, craquant à souhait. Une mise en bouche idéale avant un gibier plus conséquent qui le fait déjà saliver. Le nez au vent, il part à la chasse au lapin, et tombe nez à nez avec une jeune fille à la cape rouge. Galant, il échange quelques mots. Se rend rapidement compte qu’elle est très naïve, voire carrément idiote. Tellement sûre d’elle, de ses principes et de son éducation qu’elle finit par lui expliquer tant de choses... il dit alors adieu à son lapin. Une vieille carne d’abord à dévorer, puis ce sera de la chair souple et fraîche. Et il pourra même terminer son repas par une petite touche de sucré. Poliment, il dit au revoir. Et dès qu’il le peut, le voilà qui court avec bonheur et entrain vers le restaurant « mère-grand ». Comme l’enfant crédule le lui a expliqué, il tire la bobinette, entend la grand-mère dire qu’elle arrive. Et à peine la chevillette a-t-elle effectué son travail qu’il se jette sur celle-ci et la croque goulûment. Puis il rote longuement avec ravissement. Après un nécessaire nettoyage de l’entrée, il ferme les volets de la maisonnette, puis ouvre l’armoire de mère-grand afin d’y trouver un bonnet et une chemise de nuit. A peine enfilés voilà que son second plat se présente. Vite, au creux du lit. L’idiote ne soupçonne rien, ne le reconnaît pas. Il ouvre même largement sa mâchoire pour la dévorer sans qu’elle ne soupçonne quoique ce soit. Là, il mâchera bien, dégustant la chair souple aux parfums de légumes d’hiver. Repus, il prend alors la galette pour finir par cette légère touche de sucré bien rare dont il est pourtant friand...

Il existe de nombreuses versions de ce conte : son succès est indéniable. Ainsi, dans l’une d’elle, un chasseur héroïque parvient à sauver les dévorées. Le loup est à peine tué, encore chaud, qu’on lui ouvre le ventre et hop ! Magique ! Les proies sont entières et vivantes. Ravies et reconnaissantes, elles remercieront le chasseur par un baiser ou une poignée de main collantes de suc gastrique du loup.

Prom’nons nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas. Et mère-grand ou pas, n’oubliez pas. Le loup est malin... Moralité : ne soyez pas trop naïf sinon vous serez mangé...

proposition n° 2

exquis. Un homme exquis également. Un homme qui pensait être paresseux. Je l’ai rencontré dans le café de mon quartier, son éternelle cigarette au coin des lèvres. Un ami commun nous a présenté, il savait que nous avions en commun la passion de faire des collages. Je n’osai rien dire au tout début de la rencontre, fort intimidée. Alors j’ai pris un œuf sur le comptoir, et tout en le dépiautant, je me demandais si sa fille allait mieux. Avoir une fille anorexique est bien difficile. Elle a un appétit d’oiseau, me dis-je, sans doute est-ce pour cela qu’il les aime tant. Il pleuvait ce jour-là, oui, sans nul doute Paris pleurait. Lui, silencieux tournait son café, et nous souriait. Tous les trois nous regardions les lignes d’eau apparues sur la porte d’entrée en verre, qui glissaient et ruisselaient. Soudain, une femme a jailli dans la rue, rieuse, sous cette pluie. Lumineuse. Il a sorti un petit carnet, et a écrit quelques mots. J’ai juste eu le temps de lire « Barbara ». Il m’a demandé d’où je venais, j’ai répondu de Brest. Je ne sais pas trop ensuite ce qui s’est passé, je ne voyais plus ce qu’il écrivait. Il y avait ce parfum qui nous envahissait. Arôme d’une orange qu’une autre femme, plus loin, à une autre table, épluchait. Et cet

proposition n° 1

Un arbre, à la fois droit, allant vers le ciel et qui pourtant semble attiré par le sol. Sur le bitume gris sombre des lignes blanches consécutives, larges, verticales. De part et d’autre de celles-ci des rebords qui emmènent sur des trottoirs. Au-dessus, des lignes horizontales noires, fines et un peu courbes. Sans doute doivent-elles rejoindre quelque part un poteau de bois foncé, rond. Mais bien plus loin. Un peu partout, des volutes, des écharpes de brumes, brouillard ou nuages bien bas. Du silence, certainement. Et personne.

La lampe sapin, allumée, semble avoir traversé la vitre. Comme pour rejoindre le réverbère de la rue. La nuit. Aux lumières immobiles répond l’ombre inquiétante et graphique des branches de l’arbre du jardin. L’ombre qui paraît être incrustée dans la vitre.

Il y a un bar tabac, une librairie, l’hôtel de ville. Devant, la terrasse d’un restaurant : « Côté Place ». Toutes les rues amènent ici. Au centre, des platanes et des oiseaux. Une femme à l’air revêche se dirige vers le restaurant, un petit chien en laisse à sa droite. Plus loin, debout, accueillant, un homme aux yeux ronds l’attend.

Papiers collés, papiers pliés. Ci et là quelques mots surgissent sans pour autant que l’on puisse les lire pour autant. Des directions, des circonvolutions à ces pliures. Des tons poudrés. Sur les crêtes de ces reliefs les couleurs semblent presque noires. En haut à gauche, une montagne trône. Faite d’un seul trait. La couleur travaillée dans cette zone semble parler de vent, un vent qui explique le dénuement de cette dune. À la base, ici, au coin d’une pliure, on peut lire « c’était ».

Deux globes de verre, d’un gris sale. Qui semblent collés sur un mur plutôt orangé. Un mur aux lignes nombreuses, qui descendent et coulent vers celui qui regarde. Contre-plongée. On remarque des lignes plus grandes et plus vastes sous les globes. Le ciel, étrange, tout en haut, d’un bleu magnifique. On ne voit que ces yeux, au regard vitreux, et qui semblent avoir pleuré.



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1ère mise en ligne 4 janvier 2019 et dernière modification le 8 mars 2019.
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