et si un livre était d’abord le temps qu’on met à le lire ?

sous le titre « Béton | ceci est-il un livre ? », une de mes 1ères vidéos sur YouTube,
et tout aussi bien premier livre numérique


 

note du 8 août 2018
Merci à Erika Fülöp de m’avoir rappelé l’existence de ce 1er travail vidéo, il y a bientôt 10 ans !

note du 14 avril 2012
Bien sûr, en 3 ans, qu’est-ce qu’on a avancé... Et, encore hier, je regardais comment Gwen se débrouillait des nouvelles normes iTunes pour le balisage des vidéos dans nos epubs, on est passé à nouvelle époque. La revue D’Ici Là (lien vers le n° 8, le plus récent), en témoigne admirablement.

En même temps, la notion même d’objet continue d’évoluer : l’objet-lecture en tant qu’il est proposition ou contrainte ou ouverture de temps, et de laisser le lecture maître de cette installation du temps.

Ces jours-ci, je reviens à ces outils texte/images dont nous avons besoin pour la scène, l’accompagnement de la voix haute, et la possibilité de les enclore en boucle dans des dispositifs de diffusion. Même celui-ci, Béton, à partir d’un bâtiment à l’abandon sur une plage de Sicile, aujourd’hui je le mettrai en scène différemment.

Mais la question, et l’objet, sont toujours sur mon chemin – à preuve aussi de les recroiser, avec surprise, dans D’un monde en bascule, le travail théorique sur littérature, numérique, performance de Gilles Bonnet, que je viens de recevoir, parlant aussi de Erre (mais rien en ligne pour l’instant, sur ce travail pourtant considérable – voir site La Baconnière).

note du 6 août 2009
Il y a un an jour pour jour, après un séjour en Sicile, je mettais en ligne cette vidéo et ces notes, un débat bien riche s’en est suivi pour notre petit noyau de webeux de la mutation-livre.

Après l’année Québec, l’impression que ce serait sur ce terrain que j’ai le plus souterrainement avancé, j’espère que les prochaines mises en ligne de publie.net, la semaine prochaine, en témoigneront.

Et ça influe aussi sur l’idée du site. Je lis de René Audet et Simon Brousseau, ce matin, une étude tendant à définir la littérature numérique, et s’appuyant sur une étude concrète et critique de Tiers Livre et de Désordre – pour le Labo NT2 de Montréal (rectif, et merci RA ne pas me demander suppression : l’article n’est pas destiné au NT2, même si c’est le puits d’origine !). Quelque chose mûrit, qui confirme que l’enjeu central c’est désormais nos sites eux-mêmes. Ainsi, dans l’introduction de René et Simon à leur étude (pas possible la mettre en ligne, ô respect des rythmes universitaires, et pourtant comme notre habitude prise du partage web, de l’importance à faire circuler les idées, m’y pousserait bien !) :

Ne reposant plus sur l’historique de vie consensuel du livre papier, ces nouvelles pratiques d’écriture se calquent aux propriétés de leur support et tendent à réitérer leur processus d’élaboration, leur dynamique expérimentale. [...] Dans le contexte que nous venons d’esquisser, nous postulons que plusieurs œuvres d’écrivains actuels s’élaborent dans un double mouvement de diffraction des contenus et d’accumulation archivistique, mouvement qui vient ainsi estomper l’identité propre de chacun des projets littéraires et artistiques au profit d’une saisie stratifiée et réticulée d’une œuvre-archive profondément mosaïquée. [...] le site joue par ailleurs une fonction importante dans le processus littéraire, se plaçant à la fois comme un avant-texte global et le lieu de présence au monde de la figure auctoriale. Le flux de l’écriture est au cœur du projet — flux comme continuité à travers le temps, flux comme mouvement et processus originel de l’écriture littéraire. C’est la tension vive entre l’élaboration d’une œuvre à travers le temps et les rouages de l’écriture dans son perpétuel exercice qui sera l’objet de notre examen. [...] Alors que, de façon fortement sédimentée dans notre imaginaire pétri par la culture de l’imprimé nous avons une conception où l’œuvre, c’est ce qui est déjà accompli, nous retrouvons avec la culture de l’écran des pratiques artistiques d’abord caractérisées par le mouvement qui les engendre. Ce mouvement en fait un moteur de création, réactivant sans cesse les contenus archivés en les liant aux objets qui s’accumulent...

Alors, en attendant, je remets en Une cette vidéo, uniquement parce que c’est ce chantier qui en ce moment revient pour moi de façon centrale.

 

Et si un livre c’était le temps qu’on met à le lire ?

Ainsi, dans cette définition minimum, Don Quichotte ou À la Recherche du temps perdu ne sont pas le même livre selon qu’on les relit et à quel âge de sa vie. Ainsi, le temps pris à relire un Simenon le pose comme livre même dans la notion toute différente que sont les notes de cours de 1927 de Heidegger lentement avancées.

Ainsi, l’objet ou le support ne modifient-ils pas essentiellement la définition : on peut lire le volume de pages sous reliure pris sur l’étagère ou la table de chevet, mais le continuer dans le métro sur son téléphone portable, le relire sur sa « liseuse » électronique, ou le reprendre plein écran sur son ordinateur de travail, avec les fonctions d’annotation, les liens externes, les recherches plein texte ouvrant sur les autres textes de notre bibliothèque numérique utilisant ce terme. temps

Lorsque la physique a défini l’unité de longueur, notre brave mètre-étalon en marbre, par une définition liée au temps et non plus d’abord à l’espace, on a pu être déstabilisé de façon bien plus radicale que si on l’applique aux livres qui nous le racontent (lisez Étienne Klein, Jean-Pierre Luminet...).

Ainsi, ce qu’il y a dans le livre ne commande plus à sa spécificité : l’illustration est depuis longtemps considérée comme compatible avec le texte pour définir un livre. On l’a étendue aussi à la voix, dans un curieux retour à la définition de lire au temps de Rabelais, qui excluait la lecture silencieuse. Mais pourquoi recréer une frontière avec l’insertion de documents vidéos, ou liés au making of ? De plus en plus, pour les auteurs qui se saisissent aujourd’hui de la littérature, le matériau disponible en ligne est un composant organique de l’oeuvre dont le livre est la manifestation soit commerciale, soit symbolique, autant que fonctionnelle.

Alors avons-nous même besoin du mot livre ? Il est, sur une longue période historique, la forme matérielle privilégiée pour la transmission d’une relation réfléchie au monde, incluant donc d’emblée des éléments hétérogènes au texte. Lorsque ces formes matérielles s’ouvrent à d’autres modes d’existence matérielle, c’est cette relation réfléchie au monde qui devient le fondement de nos recherches. Et la problématique pour les acteurs de ce qui concerne le livre, si elle part d’une nécessité – le livre dans sa forme actuelle, au regard de la transmission et de la représentation, est dépositaire de bien au-delà que lui-même –, ne devrait pas être tant d’examiner la justification éventuelle de la forme ou du mot livre dans la configuration bouleversée, que d’examiner comment construire ce « bien au-delà que lui-même » dans des formes d’organisation qui n’incluent pas forcément l’objet livre.

Ce préambule n’est pas nécessaire pour l’objet proposé ici, quelques images d’un bâtiment de béton à l’abandon sur une plage sicilienne (mais quelques pas dans les montagnes derrière découvrent ce bouleau au tronc blanc, dont l’écorce déroulée et macérée a donné l’étymologie au mot livre : liber – et donc une histoire avec réellement un début), propose d’abord un temps : le déroulé du temps incluant du texte, des images, une vidéo avec son. Et le traitement de texte que j’emploie au quotidien (Pages, ou ici sa version cinétique, Keynote) propose cette pluralité d’outils autrefois séparés, mise en page, images, liens, éléments multimédia, dans son utilisation la plus directe et immédiate.

Mais cela n’empêche pas, du même geste d’écriture, d’en proposer la consultation par PDF téléchargeable, avec lecture page à page manuelle mais encore interactif et incluant son et vidéo si on le souhaite. Ou la version film (ici, une simple exportation YouTube) qui peut circuler et être transmise via les réseaux sociaux, ou être consultée plein écran dans les bibliothèques abonnées au site ?

Et si cela nous permettait alors une nouvelle relation aux plasticiens et photographes ? La frontière entre d’un côté ce qu’on qualifiait d’arts numériques et notre univers de l’édition numérique pourrait bien, dans les temps à venir, devenir elle aussi un peu plus compliquée (ou inutile) à définir.

Si le livre se définit par le temps (livre est la courte nouvelle Le Pont de Kafka, deux tiers de page dans les Sämtlische Erzählungen, et tout un livre illustré en Gallimard Jeunesse), la lecture proposée ici participe-t-elle du livre ? Il se pourrait que ce genre d’interrogation, dans tous les points de vue d’usages, de supports, de rémunération et accès, de propriété juridique, devienne première dans les mois à venir. De notre côté, auteurs de la coopérative publie.net, nous y sommes prêts.

 


 ou bien : télécharger le pdf avec lecture page à page (4,6 Mo)
 cette vidéo est dédiée à Alain Pierrot, pour tout notre dialogue 2005-2009.


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1ère mise en ligne 6 août 2009 et dernière modification le 8 août 2018
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