Georges Perec | le computeur pour tous

"le computeur sera social et quotidien" annonce Georges Perec de l’ordinateur... en 1967


note du 30 novembre 2012
à relire : cette brève note de Georges Perec, ci-dessous, datée de 1969 et après sa découverte des ordinateurs aux USA – son texte Pour une littérature réaliste

 

note initiale – 21 janvier 2010
C’est une chaîne Internet comme j’aime : reprenant ici même, suite à insomnie où sa dernière phrase m’était revenue avec obsession, le texte de Perec Pour une littérature réaliste, j’évoque que Perec, mort en 1982, avait mentionné le lien possible de l’ordinateur et du travail littéraire.

Message hier d’un explorateur opiniâtre de ces questions depuis le (hors-)champ littéraire : Nicolas Dickner – on est pas mal d’habitués à le suivre sur son blog. Je réponds, depuis la fac, sans livre, d’aller voir ce fabuleux texte éponyme à la fin de Penser/Classer, notamment vers le passage concernant Seî Shonagon. Message amusé de Nicolas, un peu plus tard, me disant qu’il a si bien classé le livre dans sa bibliothèque qu’il ne le retrouve pas (il est mince), pourtant sûr de l’y avoir. Entre temps, j’ai retrouvé mon propre Penser/Classer, mais pour cette année québécoise je n’ai pas embarqué tous mes Perec (ah, manque de l’oeuvre numérique...).

Donc message à deux perecquiens, Jean-Luc Joly avec lequel nous venons de réaliser entretien pour les Cahiers Georges Perec, et Françoise Granger. Et ce matin, grâce aux décalages horaires, voici directement sur ma table-écran 2 fragments de Perec dont je me souvenais, et que mon message ait transité par la liste Perec nous vaut, via Paulette Perec pour un texte et David Bellos pour l’autre, deux fragments de 1967 – dont ce computeur pour tous, les voeux de Georges Perec, à 33 ans de distance...

Paulette Perec est en juillet 1967 la destinataire de lettres où Perec découvre, à la Michigan State University où il donne deux conférences, qu’ils ont un computer friand de linguistique sur lequel il se pourrait bien que j’aille un jour étudier les possibilités du PALF.

Le premier fragment est dans Le cabinet d’amateur, le second dans Portraits. Il y a aussi une allusion dans un entretien avec la FNAC repris dans les Entretiens et conférences : Perec, avoir l’oeuvre complète avec soi – l’emporter intégralement quand vous voyagez...

Alors merci aux veilleurs, et bonne lecture...

 

 

1 _ George Perec | Le computeur pour tous (1967)


Ces débuts d’année étant propices aux voeux, je voudrais souligner aujourd’hui, à l’adresse des personnes compétentes, s’il en existe, l’intérêt qu’il y aurait à diffuser de façon massive l’usage domestique des computeurs.

J’entends par usage domestique, l’usage individuel, personnel et privé, opposé à l’usage public : les entreprises nationalisées et autres, le Club Méditerranée, la RATP, le PMU, la DST et la TABDT disposent de computeurs ; le « Plan Calcul », organisme officiel investi des pleins pouvoirs en application de la loi du 7 novembre 1882, a décidé, c’est-à-dire a calculé scientifiquement, c’est-à-dire avec un computeur (ce qui, en bonne logique, fausse le résultat obtenu, puisque, dans ce calcul, le computeur est à la fois juge et partie), que, di’ici moins d’un lustre, le computeur sera opérationnel, social et quotidien : il donnera l’heure, tirera des chèques, réservera des places, coupera sur mesures, il servira à tout. Eh bien, j’ose le demander : pourquoi pas nous ? A l’heure où le divorce entre l’individu et la société prend des allures de plus en plus tragiques et où fleurissent de partout les psychoses, névroses et acidoses, syndromes de malaises sociaux devant lesquels la science reste souvent désarmée, comment pourrions-nous accepter que l’homme de la rue qui, sitôt franchi sa porte, peut avoir à disposition ces merveilleux outils de la technique et s’en servir à tout instant – dans le métro (vous appuyez sur un bouton et, hop, la machine vous dit quelle est la première direction à prendre, c’est fantastique !), dans les bains-douches (vous tournez une manette et hop, voilà de l’eau chaude ou froide, c’est merveilleux !) – soit, chez lui, aussi désemparé que pouvait l’être feu le père de son père ?

Certes des efforts timides ont été faits pour programmer les machines à laver et les plaques de cuissons. Mais enfin, il est grand temps que la science abandonne les cuisines : il n’y en a que pour elles et c’est tout à fait injuste.

 

 

2 _ George Perec | Sorte d’anticipation de ce que nous appelons aujourd’hui "l"hypertexte" (1967)


Dans cet hörspiel, on a tenté de simuler le fonctionnement d’une machine électronique à laquelle on demanderait d’étudier systématiquement un poème. Pour ce faire la machine dispose

1°) d’un ensemble de programmes permettant d’appréhender le poème sous ses divers aspects et d’effectuer toutes les opérations linguistiques pertinentes c’est-à-dire susceptibles d’éclairer le poème sous un jour nouveau

2°) d’un groupe de mémoires s’exprimant par les canaux latéraux possédant en réserve

a) le poème lui-même
b) l’ensemble des connaissances actuellement disponibles concernant l’auteur du poème
c) un trésor exhaustif de la langue allemande
d) plusieurs alphabets
e) une grammaire
f) un trésor de la poésie universelle

3°) d’un ensemble logique – le contrôle s’exprimant sur le canal central, qui enchaîne dans un ordre déterminé les opérations fixées par les programmes et vérifie leur déroulement

Le contrôle a une priorité absolue sur les mémoires et peut leur donner l’ordre de s’arrêter, d’aller plus loin, de revenir en arrière etc...

 

© Archives Georges Perec _ Portraits, sous la direction de Paulette Perec, est édité par la BNF.


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1ère mise en ligne 21 janvier 2010 et dernière modification le 30 novembre 2012
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