Anne Savelli | au départ, chambre close

vases communicants, juin 2011


Déjà salué Anne Savelli dans Tiers Livre pour la réflexion sur lieu et espace dans Franck. Et, depuis, ce qui s’est joué entre le livre et le site avec images et audio.

Mais suivi depuis bien longtemps l’expérience blog d’Anne Savelli avec Fenêtres Open Space, d’après titre de son premier livre.

Et, si l’invitation vases communicants date d’il y a 1 mois, hasard favorable qu’elle corresponde à la parution de Les Oloé sur D-Fiction. D’abord pour saluer l’arrivée d’un nouvel éditeur numérique : plus on sera d’acteurs, mieux chacun pourra affirmer sa spécificité. Mais tout simplement parce que c’est une réflexion importante, avec les moyens numériques, sur l’écriture – là où on s’installe pour écrire, comment on s’y installe et comment ça interfère avec l’écriture. Incitation que vous alliez voir au moins l’extrait téléchargeable.

Et merci à Anne d’accueillir, selon le principe des vases communicants, ma propre variation sur thème de la chambre close.

Et voir la liste complète des 38 participants dans Au rendez-vous des vases.

FB

Photos : Anne Savelli (Paris, le "104").

 

Anne Savelli | Au départ, chambre close


Ce fut, au départ, chambre close. Imaginer une fenêtre à quatre côtés, protégeant du monde, pour reprendre souffle. Monde irrespirable, asphyxie, attaque. Poumons contenant des bulles, était-il dit (tu y comprenais quelque chose, toi ?), et le lien aux autres par la voix seulement.

Pas une couveuse, une chambre stérile, paraît-il. Le monde par la vitre, souvenir de soleil, beau temps, des ombres des arbres (un souvenir ? dès la naissance ? oui). La lumière, la voix, armes denses contre l’isolement, pour la vie entière.

(établir une liste des voix d’hommes aimées, par exemple, et qu’il ne soit pas possible d’aimer sans aimer la voix)

Dans la chambre close, pas de mains, de bras pour vous emporter, ni caresses ni baisers. Le temps, deux mois environ, s’agrège plutôt qu’il ne s’étire, se multiplie, sans début ni fin. Toutes ces bulles, bénéfiques, maléfiques, les unes dans les autres, traversées par les reflets du jour, des nuits, les stries des persiennes, les barreaux d’un lit.

(inventer, se fier à une photo, c’est selon)

Dix ans plus tard dans une chambre à soi lumineuse aussi (un dernier étage, le ciel sur le toit de l’école d’en face, bord à bord, par la rue étroite), de temps à autres refuser les murs, le lit, l’étagère de livres et se réfugier dans le placard. S’encastrer, étouffer, attendre, une minuscule lampe à la main, ampoule de maison de poupées. Être trop grande, alors, dépasser tout le monde. Tu fais bien une tête de plus..., On te donnerait deux ans de plus..., écoeurant leitmotive d’adultes, hommes et femmes, dont les phrases ne sont pas très claires.

Commencer à s’arrêter de grandir.
Peur, dégoût, fascination de l’histoire d’Alice, dont le corps épouse la pièce.

Arrêter de grandir : l’année suivante, un soulagement.

Dans la liste il faudrait noter les cauchemars, sans cesse renouvelés, à propos d’ascenseurs (qui écrasent, se décrochent, tombent, vous aplatissent vers le haut, le bas, dont la porte refuse de se fermer quand un tueur vous piste, vous course, vous tire dessus ; dont les parois de verre vous jettent dans la ville, d’en haut, très haut, minuscule point fracassé ; et même, horizontaux, lancés à pleine vitesse, dans les parkings, contre les piles de béton)
la chambre close, lorsque c’est un livre
les recoins sous les escaliers
les grottes
les sous-sol
les cellules d’asiles
les box des urgences
les débarras

ce qui protège de la mort autant que de la vie en cours, en somme.

Que faire de ce qui dépasse, gêne, n’est pas aux normes, si ce n’est le compresser, l’enfermer, refuser de le voir : on sait, n’insistons pas.

La chambre close, c’est encore, à le vivre, à l’écrire des années après, ce lieu aux autres invisible.

C’est la pièce inconnue, noire, avec trappe, sans fenêtre, dans le prolongement d’une réserve, dont quelqu’un en riant a dit devant tout le monde On va t’y laisser. Elle est fermée à clef, ne sert strictement à rien.

C’est la pièce que j’invente au dernier étage d’un grand magasin. Pour l’instant, une terrasse avec toit et murs – une terrasse quand même. J’y place une serre, un potager, des plants de tomates devant l’Opéra. A la ligne suivante, elle devient réduit, cabinet de tortures, on y séquestre les employés (je ne sais rien des sévices, encore, il n’y en aura aucun, peut-être, ou le lecteur s’en chargera). C’est le lieu malléable, encore informulé, contenu dans la page.

C’est la pièce qu’il me faut, secrète et transportable, que nul ne peut ouvrir sans mon consentement. D’abord et avant tout : silence. Que le temps s’arrête. Une table, une chaise, un matelas, de l’eau, de l’électricité, une cafetière. Une ou deux lampes, un meuble avec tiroirs, une poubelle, je crois que c’est tout. C’est la pièce où je lis à voix haute, fais les cent pas. C’est là où nul ne peut m’atteindre. Pas de paysage à la fenêtre, rien d’autre que ces ombres et lumières.

A l’intérieur une prise.
S’appelle connexion.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 juin 2011
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