[99] si on a autant de surprises qu’à visiter une maison d’apparence quelconque dont l’intérieur est rempli de trésors, de pinces-monseigneur et de cadavres

pour celles et ceux qui ne croiraient pas que Proust a connu Baudelaire


Dans ces cas il y a forcément enquête de police, et donc constitution d’archives, qui deviennent ensuite publiques et sont déposées par la préfecture aux archives nationales. Il est loisible à chacun d’aller consulter les pièces comme je l’ai fait. Parce que nulle part l’histoire n’a débordé dans les journaux, et encore moins dans les diverses correspondances des protagonistes. Au retour de l’enterrement de Marcel Proust, ce 25 novembre 1922, division 85 du cimetière du Père-Lachaise, Robert Proust revint au 44 rue Hamelin et entra par réflexe dans la chambre du lever de corps. Il y avait des instructions précises à donner concernant les draps, les affaires du mort, le ménage, indépendamment de ce qui lui reviendrait ensuite de régler concernant le reste d’affaires financières de son frère quasi ruiné, et le destin de cette masse de papiers en désordre. Quand il entra dans la chambre de son frère, un homme était couché tout habillé dans le lit, allongé sur le côté, lui tournant le dos. Robert Proust fut sur lui en deux pas et allait s’en saisir, quand il reconnut brutalement le cadavre momifié de Baudelaire. Une mauvaise plaisanterie ? Mais personne n’était entré dans l’appartement soigneusement fermé à clé, que Céleste Albaret et lui-même avaient quitté les derniers. Que cela ait pu être monté par ces jeunes types qui haïssaient Proust et ce qu’il représentait, les jeunes et frétillants anciens plumitifs se revendiquant de Dada et autres plaisanteries ? On connaissait leurs noms. Et même, on trouverait plus tard leurs lettres veules et serviles envoyées au maître décadent pour qu’il veuille bien appuyer leurs opuscules. Dans tous les cas, la famille Proust avait assez subi de la publication même, dans son obscénité, sa crudité, sa déliquescence, des oeuvres du jeune frère malade. Robert Proust téléphona à des amis de son père, encore en place dans les ministères. Le commissaire de police qui survint savait d’où on lui donnait des ordres. Dès le lendemain soir, à la brune, on ouvrait la dalle de la tombe de Baudelaire : l’espace qu’il aurait dû occuper était vide. On ne trouva cependant nulle trace de profanation, et aucun témoin ni rumeur qui n’aurait pas manqué de se manifester si, comme on continuait de le supposer, la mise en scène macabre était le fait de messieurs Aragon, Breton et leurs suppôts habituels. On replaça Baudelaire. La haine de l’épouse de Robert Proust pour toutes les affaires personnelles de son beau-frère, et même de la peine que prit son mari pour publier le reste des oeuvres de son frère, date paraît-il de cette soirée – eux attendant le fonctionnaire de police et les services de l’hygiène, et ce cadavre momifié posé de travers dans le lit même du mort, définitivement muet.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 février 2013
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