Formes d’une guerre | descends, descends tu m’entends

thème récurrent et onirique de la ville sous la ville


màj n°4, le 31 mai 2011, pour Formes d’une guerre à Poitiers, planétarium – en duo avec Dominique Pifarély

 

Descends, descends tu m’entends, descends. Tu es là sans droit. Les rues ne sont pas belles à voir. Les gens ne sont pas là pour qu’on les voie. Descends. Il y a assez d’escaliers, de rampes, de glissières, de portes transparentes à pousser où s’en vont les galeries : d’autres comme toi sont en bas. Vous marchez déjà dans des couloirs. Vous attendez déjà sur des bancs. Vous êtes déjà debout au long des voies souterraines où grondent les empilements horizontaux de fer. En bas, si vous voulez y accéder, libre à vous : ils sont comme vous, ceux qui ont préféré descendre. Trop ici de faussement debout, accrochés à ces barres grasses des transports, affalés sur des banquettes anonymes, ou guettant par des vitres ternes l’avenir qui ne vient pas – la ville en haut est ce faux souffle de silhouettes rogues, les voûtés, les fatigués, les uniformes, ceux qui encombrent les magasins et les services, là en bas est leur place. Que restent là-haut ceux qui se croient une raison explicite d’arpenter les lumières, ils n’ont plus visage. Descends. Au bout de telle galerie tu sauras ta niche, tu sauras ta case. Même pas besoin de quitter les plafonds techniques, avec leurs câbles et tuyaux peints et soufflerie : un ascenseur te prendra ici dans tes couloirs, et en bas dans l’autre couloir tu auras ton numéro, la clé qu’on t’a remise ouvre la porte de cette pièce avec table et écran, tu pourras t’asseoir et au travail. Descends : tu seras à l’abri du bruit, de la poussière, des tracas et des salissures du monde gris, à l’abri des masses d’air froid qui rendent la ville ingrate, inconfortable – que te plains-tu d’avoir à descendre. Ceux qui s’affichent ici, sur les trottoirs, les immobiles, leur tête est détruite, leur corps est rongé, voilà ce que pour toi tu souhaites ? Parce que tu te souviens des anciens plaisirs, des fêtes, des bouffées de chaleur, de ces odeurs que tu reconnais, la ville, et comme tu l’aimais le monde électrique, ou le café que tu prenais sur les tabourets du comptoir, mais dans le calme de ta pièce en bas, tu as fonction, et travail réservé à toi seul, ta clé et ton écran. Descends : te voilà dans les couloirs, les galeries protégées, la lumière égale, offre-toi les détours que tu souhaites, reste longtemps, oublie les empilements horizontaux du fer qui gronde, oublie les parois fausses et leurs publicités peintes, oublie ces journaux avec photographies des misères du monde – et gratuites en plus. N’envie pas le destin de ceux qui restent là-haut, dans le monde illuminé des voitures : ils n’ont pas de bonheur, les affaires vont mal. Ils aimeraient mieux eux aussi, s’enfoncer dans les allées de la permanence de toute chose, du plan réglé de la ville d’en bas, la même ville mais sous leur ville. Descends. Ne reste pas au carrefour. Regarde, la porte est en face, le portillon de fer est libre, là en bas on t’attend, descends.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 31 mai 2011
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