mesure des rêves d’avril 2013

tout le mois d’avril 2013, s’astreindre au réveil à quotidienne tâche brève de notation


2013.05.15


Comme je suis en train d’écrire le rêve que je suis en train de faire, et que je suis en Amérique, je dois bien faire attention à mettre en italique ce qui est écrit en anglais. Comme je suis en train d’écrire un rêve en train de se faire, c’est tout ce qui est pensé et vécu au présent qui doit être en italique. C’est donc beaucoup plus difficile que ça en a l’air, et je suis très fier de ma capacité à tisser toutes ces nappes de langage. Le trouble surgit cependant : à me concentrer sur ces questions, et si j’avais oublié le reste, le rêve lui-même, ces lieux où la ville rencontre l’eau ? Donc je viens l’écrire, illico, tel quel.

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2013.05.14


Dans ce rêve, je découvrais que le prochain livre d’Echenoz s’appelait Trois employés avec pour sous-titre et le reste. J’avais d’ailleurs un préjugé très favorable, comme quand je relis les premiers Echenoz, juste pour retrouver la première découverte de lecture. C’était associé de mon côté à une intervention que je devais faire sur le livre comme corps. J’étais quand même interloqué par le sous-titre et le reste : il voulait dire quoi, Echenoz, avec ce titre « trois employés et le reste » ?

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2013.05.11


La perception qui domine est celle que le corps au réveil ne pourra pas se déplier. Tel qu’il est, tel il continuera dans la vie diurne. En compensation, je suis beaucoup plus léger. Je peux avancer, être poussé, me déplacer et penser comme si j’étais déplié et pouvais bouger et marcher. Ce ne sera donc pas si désagréable, et pourra simplifier certains aspects de la vie. C’est exactement, je pensais, comme si j’étais une expression idiomatique, une expression en langue étrangère dont on voit ce qu’elle veut dire, mais qu’on ne sait pas analyser autrement.

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2013.05.08


Je suis dans ce train qui fait le tour du monde. C’est confortable, mais large dedans comme ces salles de ferry. C’est bondé. On a passé Moscou, le prochain arrêt c’est Varsovie, j’espère que je ne me suis pas trompé de place. Je lis un document sur les méfaits secrets de l’histoire de France.

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2013.05.05


C’est un rêve où il ne se passait rien. D’autre part, je savais que c’est cela que j’aurais à écrire. Le rêve me disait donc : regarde autant que tu veux, tu n’auras rien d’autre à écrire. Après, il basculait, comme on tombe avec un vertige. Mais si je repensais à mes notes du matin, à nouveau il s’immobilisait. Il y avait donc ce lieu où il ne se passait rien : grand carrefour avec patte d’oie et place bombée dans la ville, grande place avec présence de l’eau (fontaine, inondation insidieuse), salle d’attente conventionnelle de médecine, la figure pouvait changer, comme une diapositive au fond, mais cela ne changeait pas l’essentiel : la durée même du rêve était devenue cette attente.

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2013.05.04


1

Dans ce rêve, j’étais habillé tout en gris, pantalon de tissu gris, flanelles grises, et un de ces gilets à l’ancienne mode sans manche. Je me demandais bien pourquoi j’étais ainsi habillé de gris et noir. Je n’aime pas le gris, et c’était un côté guindé ou emprunté qui ne me ressemblait pas. Et voilà que j’allais comme cela dans la ville.

2

Tu as des murs tout autour de toi. Ils sont lisses. Je voudrais repousser ces murs. C’est très important. Il y a longtemps que je suis dans la pièce. Je sais parfaitement ce que je dois faire pour repousser les murs, et pourquoi je dois le faire, et qu’est-ce que j’ai à faire de l’autre côté. Mais cela fait des jours que je suis dans la pièce, devant les murs, sans pouvoir rien faire.

3

L’exercice qui consiste à se souvenir des paroles (ou des musiques) prononcées en rêve est à la fois formidable et dangereux. Dangereux, parce qu’évidemment le plus grand discours se réduit à trois mots qui en eux-mêmes n’ont pas de signification, ou bien ricanent dès la première rédaction, pour bien témoigner de leur indifférence – après tout, au mieux tu réinventes un discours selon les lois et sensations approximatives qu’ils t’on laissées. Formidable, puisque, dans la conviction que tout cela sera encore clair au réveil, ces paroles (ou ces musiques) vont conditionner tous les rêves à suivre, comme si elles y étaient présentes et actives – jusqu’au réveil exclusive.

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2013.05.03


Dans la complication habituelle, cette image qui semblait naturelle dans son contexte, mais difficile à rattraper maintenant : on ne pouvait plus écrire à sa table, les textes ne partaient pas de soi. J’en avais pour preuve ces deux jeunes qui, sur mon conseil, attendaient là-bas près de l’eau (plutôt la mer) : être prêt et disponible, et le moment viendrait où ils auraient à écrire parce que là d’où vient le texte serait aussi présent. La figure revenait régulièrement dans la suite des rêves (bien sûr, puisque je savais depuis lors qu’elle était celle que j’aurais à écrire, ç’avait été clair toute la nuit sauf maintenant), avec des variations. Une fois, ce sont les deux fils de Claude Ponti, ce qui est pour moi un préjugé favorable, mais en même temps me fait douter de la question principale, celle de l’écriture, sachant que Claude n’a pas de fils. Une autre fois, c’est sur un genre d’ancien paquebot qui dérive à l’abandon qu’on doit attendre, et moi avec les jeunes. Une autre fois, c’est lié à la disposition intérieure du garage de Civray et son pont-élévateur (toujours aussi ce vieux souhait lié à l’écriture, qu’à mesure que j’avance en âge et en métier, ma tâche propre d’écriture pourrait se suffire de donner une description extensive de tels lieux), et il ne s’agit plus que d’exposer un principe théorique, comme je l’ai fait tant de fois à des étudiants, et qui vaudrait pour moi autant que pour les deux jeunes que je prends en exemple pour un interlocuteur non identifié : écrire n’est pas ici, il faut s’en aller dans ces zones du monde – avec de l’eau – où surgira là d’où vient le texte.

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2013.05.02


1
Rien que ceci : alors que tu passes presque en courant dans cet angle de ciment, tu aperçois dans cette pièce carrée et nue un gars qui travaille son piano (un quart de queue, il est de profil mais il t’a vu aussi), et ce qu’il joue révèle un musicien confirmé. Tu lui fais juste un signe à distance et tu continues. Le lieu, coursives ouvertes pièces dans vraies portes ni fenêtres, tient son rapport intérieur/extérieur de l’IUFM Fort-de-France, C’est lié à deux événements diurnes, c’était très net quand, de tout le rêve, se fit l’injonction dans la nuit que c’est ce passage et ce passage seulement que tu aurais à noter ce matin (le rêve était compliqué et m’avait réveillé, il était vers 3h30) : l’un, ma propre difficulté ces jours-ci à avancer aussi bien le travail personnel que les tâches contraintes, s’être dit que tout cela était mille fois plus difficile dans un contexte sans perspective que lorsque tout cela s’inscrit dans des contextes un peu plus favorables, donc se dire que ces tâches il y avait à les respecter comme un musicien doit travailler son instrument, même sans aucun horizon, et deux, ce mail reçu dans la journée où un universitaire traitait D.P. (et nous-même ses copains du même coup) de « freluquets » parce que nous osions une réflexion sur la « soumission » d’un projet. Puis d’autres rêves, d’autres lieux, d’autres couloirs et escaliers. Mais celui-ci, juste ce type qui joue, dans une pièce isolée, une pièce que je ne saurais même retrouver, sitôt que passée, des musiques compliquées, exigeant grand travail, et que moi, qui passe très vite dans coursive, soit perdu soit poursuivi, je lui adresse un rapide salut fraternel. Qui était-il, que faisait-il dans mon rêve : c’était un visage sans source, sans rien à qui ou quoi je puisse le relier.

2
Tu expliquais ce qu’il fallait savoir du rêve, la progression des exercices, l’appui sur l’illusion de réel pour revenir en rêve dans le réel, et bien sûr là c’était plus compliqué, il fallait bien décrire les étapes, la convocation de ces rêves qui te donnaient l’illusion parfaite de te mouvoir dans le réel, et puis comment tu convoquais cette illusion même depuis le territoire du rêve, pour te lever et agir. Et c’est ce que tu faisais : à cet instant tu te levais et agissais. Pour t’apercevoir que tu étais seul depuis longtemps, que ce que tu avais expliqué n’intéressait personne, et s’était probablement enfui avec les gens, puisque toi-même n’était plus sûr de rien – ce n’était qu’un pauvre rêve, un de plus.

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2013.05.01


Tu vivais depuis quelque temps dans cette ville étrangère, assez pour y avoir tes habitudes, et personne ne s’était aperçu de ta présence. C’était un sentiment d’anonymat assez réconfortant, tu y pensais à chaque promenade, là, au coin de la rue (tu n’allais jamais bien loin, tu te le reprochais), et en même temps sourdement menaçant : tous ces autres n’étaient-ils comme toi que des gens en instance, séparés de tout et d’eux-mêmes, subissant finalement la même et très sourde angoisse ? Tu évitais de croiser les regards, ils en faisaient autant. Et c’est là où ça devenait vraiment du rêve : même quand vous vous croisiez face à face, il n’y avait pas de regard.

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2013.04.30


J’étais assis sur les marches, le long du mur, avec ce léger vide sur ma droite. Elle, elle était assise un peu plus bas, contre le mur, dans le vacarme des voitures. C’est peut-être les voitures qui m’ont alerté : ce dispositif, c’était celui des deux ateliers de l’ancien garage de Saint-Michel en l’Herm. D’ailleurs, l’escalier avait même proportion avec ma taille d’adulte qu’il l’avait avec ma taille d’enfant. C’est tout, rien de plus, le reste du rêve n’était pas trop intéressant – juste qu’il se saisissait, pour placer deux personnages, d’un dispositif d’escalier au long du mur que je n’ai pas fréquenté depuis 1964.

[AUTRE FRAGMENT] Encore retour usine. On doit se servir d’un moniteur branché sur un boîtier mais ça ne marche plus, j’ai ouvert le boîtier, je cherche à repérer s’il n’y a pas de mauvais contact dans les circuits, mais chaque fois que je touche un des fils il se défait. Je parle à un type qui est le responsable de ce genre d’appareil, il me promet qu’il réparera dans les jours à venir, ça ne l’enchante pas, il insiste que ce truc marchait très bien. Je n’aime pas ça, parce que je vais donc passer des jours à devoir attendre, et tout le monde va s’apercevoir que je suis totalement incapable d’assumer mon travail, même si c’est avec une bonne raison ça va devenir évident pour tout le monde. Le lendemain il m’a pourtant remis un appareil de remplacement, ancien, énorme. Je l’installe sur un établi et commence les tests. C’est une figure de bronze lisse, comme une sculpture de Moore ou Brancusi, quand je branche l’autre appareil défilent des dizaines d’images, de visages en transparence dans le bronze, autant d’images que sur Internet. Mais rien qui concerne le travail à faire, et ça me culpabilise encore plus : même avec cet appareil je ne sais rien faire. Ce sont principalement des scènes anciennes, des articles liés à des crimes, une façon de faire revivre l’histoire. Ça m’intéresse beaucoup plus que la réparation d’une machine à souder qui de toute façon n’a pas évolué depuis le temps réel où je travaillais à l’usine. Je décide de tout plaquer et rentrer chez moi, le rêve s’arrête.

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2013.04.29


Dans ce rêve, je me souvenais parfaitement de cet autre rêve : je me voyais donc rêver, le rêve était lui-même s’étonner de se souvenir aussi parfaitement du rêve précédent. Aussi, il est logique que je me souvienne bien mieux de cette sensation que du rêve lui-même. Mais non, c’est cette sensation d’emboîtement qui devient lumineuse : je suis devant un paysage urbain ouvert, avec de grandes rues et un carrefour, et le rêve dont je me souviens était précisément dans cet endroit lui aussi. Et le sentiment de suspension temporelle se superpose pareillement à un sentiment de suspension physique : je suis léger et flottant dans ce carrefour, je pourrais me déplacer rien qu’en appuyant sur des flèches, comme on le fait dans une vue de Google Street View. Mais j’attends. Plus j’attends avant de le faire, mieux durera cette double sensation, qui suspend et le temps et la pesanteur du corps. Dès lors que j’avancerai dans le décor réel, que j’entrerai dans l’ancien rêve en quittant celui-ci, c’en sera fini de cette légèreté, comme c’en sera fini de la sérénité.

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2013.04.28


Pourquoi n’es-tu jamais assis dans tes rêves ? Tu es ce corps allongé qui soudain flotte, immobile et remis en position verticale, soufflé lui-même où tu lui dis d’aller, ou bien où son champ visuel l’appelle, et toujours prêt à retomber comme ces champignons qui éclatent sous le pied, laissant échapper un nuage de poussière sèche. Cette poussière sèche est encore toi-même, est encore tout aussi bien ton rêve, ton rêve et toi-même confondu dans le seul nuage de ce qui n’a plus existence. Pourquoi sinon seraient-ils aussi importants, les lieux du rêve ?

[DIALOGUE 3] C’est un exercice difficile, mais accessible, je lui expliquais. Je sais très bien où tu en es dans le rêve, j’expliquais. Je connais tes rêves et tu connais les miens, j’insistais. Et que cela ne s’explique pas, mais que nous savons ensuite le développer par le travail, j’insistais. Je donnais des explications très claires : je rappelais d’autres exercices plus simples sur le rêve, comme ceux liés à la vision latérale. J’expliquais qu’on payait cher, dans d’autres domaines, notre nature de rêveurs : pas pour nous, les comportements guerriers, la froideur du commerce, la simplicité du comportement dans le réel. De toute façon, j’ajoutais, tu sais très bien qu’on a déjà pratiqué ou rejoint cette étape, tu as été dans mon rêve comme j’ai été dans le tien, j’ai dit. Et donc j’ai insisté : il s’agira seulement de décider ensemble, là où tu seras et là où je serai, qu’en se rejoignant dans le rêve nous déciderons de le déplacer ensemble. Si c’est une place dans la ville, nous traverserons cette place, si c’est au long d’une rivière ou dans une rue qui va vers la mer, nous irons jusqu’à l’eau ensemble. C’est un premier pas, j’ai insisté, juste la vérification d’où on en est dans l’art du rêve, puis ensuite chacun chez soi. J’étais fier d’avoir expliqué ça jusqu’au bout, le sommeil ensuite a été très serein, patient. Avec même une envie de dormir, ou plutôt, puisque ayant accompli les tâches normales du jour, une part préservée du sommeil en soi tout le long du jour, comme si l’attente ou le lien établi devait se prolonger dans la veille, pour accueillir le nouvel exercice, comme proposé. Attention, c’est un exercice difficile, l’avais-je aussi prévenue, c’est un exercice qui présente du risque, la peur absente dans les premières rencontres peut revenir au premier plan dans la prochaine, si nous l’acceptions comme étape, je l’avais prévenue.

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2013.04.27


Dans la jalousie où tu es, tu cognes à toutes les portes de la ville. Mais la ville par définition est ouverte. D’une rue, bifurquent toutes les rues, et tout possible inexploré accroît ta rage. Seulement, là, maintenant, dans ce bâtiment, avec étages, ailes et couloirs, c’est la même sensation d’ouverture, alors que par nature le bâtiment est une clôture (vague ressemblance avec l’hôpital psy de Québec, et ses cages suspendues au bout des balcons). À un moment donné, on te montre même, d’un soupirail que tu n’avais pas remarqué, l’escalier de pierre raide qui descend à la cave (ressemblance cette fois avec l’ancienne synagogue de Fez) : – Ah, elle est là, votre cave, dis-tu à tes interlocuteurs. Tu remarques qu’au fond c’est inondé, une eau noire et opaque, immobile, profonde, dans le dédale des souterrains qui commencent.

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2013.04.26


L’homme boiteux passait dans la rue. Il connaissait les meurtres de tous. Tu te cachais. Tu ne souhaitais que cette affaire ressorte.

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2013.04.25


À nouveau cette réunion de l’Oulipo qui se prolonge, dans le même lieu et avec les mêmes gens, mais l’enjeu est de prolonger dans la littérature qui compte ce qu’ils développent pour des points à moi très obscurs de poésie. Je dois leur soumettre le point de la lumière chez Balzac, le fait que le mouvement en avant de la narration chez Balzac est lié à certaines dispositions des portes vitrées et de comment on aménage la lumière extérieure par diffraction dans les maisons. Je peux en parler parce que je sais ça de mon enfance, et dans le rêve j’en vois clairement les exemples. Je dispose aussi, en paix et tranquillité (c’est rare, dans mes rêves, en ce moment) de très précis exemples pris à l’oeuvre de Balzac. Et puis le moment de l’exposé ne vient jamais, on a toujours d’autres choses à parler.

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2013.04.24


Schéma récurrent un peu lassant avoir été obligé de grimper sur une élévation, dune de sable friable, zone rocheuse escarpée, ou là simplement les capots de tôle d’une installation mécanique, grosse chaudière de centrale, puis à tel moment ça coince, descendre est trop vertigineux, ou là ces tôles grasses où il faudrait se laisser glisser sans prise. Te contraignant chaque fois à laborieux demi-tour, ce demi-tour que tu voulais éviter par dessus tout, et le paysage du retour se transformant lui-même à mesure pour inclure de façon imprévue cette même difficulté qui t’avait empêché la descente, effritements, parois lisses avec passage si étroit, entremêlement de tôles. C’est alors que souvent commencent les animaux

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2013.04.23


Juste ces deux rampes comme flottantes dans le noir, l’une faite d’une dizaine de lumières bleues alignées, l’autre d’une dizaine de lumières rouges. Ce sont des lumières rondes, comme de grosses diodes à surface avant cylindriques, et elles ne sont pas éblouissantes, juste flottantes. J’ai la sensation que si je les approche elles s’en iront flotter plus loin, aussi je me contente de brefs et lents mouvements à distance, qu’elles répercutent d’ailleurs. Je trouve ça très bien, ces deux rampes de couleur, et très important pour l’écriture. Ainsi devraient être nos phrases. Cela correspond assez précisément à une démonstration que Jacques Roubaud venait de faire à cette réunion de l’Oulipo à laquelle j’étais invité, à propos du taratantara. D’ailleurs, et c’était aussi lié dans le rêve à cette veste de velours noir que portait Roubaud, comme on les achetait il y a longtemps dans les boutiques Adolphe Lafont spécialisées dans les vêtements de travail, indépendamment des deux rampes de lumière, la sensation c’est que c’était Roubaud lui-même, qui était important pour l’écriture. Le reste est obscur, ou encombré.

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2013.04.22


[DIALOGUE 1] Il te suffit de fixer un élément précis des lieux, un angle de maison, un coin de ciel, le reflet d’un carrefour, la fuite d’une rue, me disait le type sans visage. Mais jamais personne n’a de visage dans mes rêves, et, à cet instant, c’est dans son visage même que je voyais apparaître les figures dont il me parlait. Alors le récit de ton rêve sera bref et concis, ajoutait-il, et les autres s’y reconnaîtront. Moi je pensais qu’il se trompait : les figures et lieux essentiels de mes rêves, je les connaissais mieux que lui, et ne les lui dirais pas. Et ce que j’en dirais ici, ça ne le regardait pas – fusse-t-il lui aussi un élément de mes rêves. Par contre, je trouvais ça bien beau, ces éléments de ville qui s’inscrivaient sur son visage, comme une toile de Magritte ou le reflet sur la visière d’un casque intégral de motard.

[DIALOGUE 2] Ce que tu écris n’est pas ton rêve, mais la recréation d’un autre rêve, me disait ce type barbant. Mais c’était moi, le type barbant, et moi ce que j’aimais c’est comment écrire le rêve me refabriquait l’oubli du rêve. Oui bien sûr, ce que j’écrivais je l’avais rêvé. Comment je l’inventerais autrement ? Mais le type n’était pas d’accord. À ce moment-là, ses mains s’ouvraient et des feuilles de livres s’échappaient partout en l’air : – Eh bien, si tu les as rêvées, retrouve-les ! me jetait-il d’un air de défi.

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2013.04.21


Dans l’inventaire des lieux récurrents, c’est celui que j’appelle, quand je reconnais que le rêve m’y ramène, Villa Médicis. Mais il n’a rien à voir avec la Villa telle que maintenant. Ce qui l’identifie, c’est certain rapport à une organisation différenciée et labyrinthique des quartiers de la ville tout autour, à la fois très distincts et interpénétrables – là par contre reconnaissant les premières semaines de vie à Rome lors de mon propre séjour Villa, mais rien à voir avec la Rome que j’ai appris à connaître, et qui a d’ailleurs tant changé depuis. Dans la Villa elle-même, il y a toujours la conjonction et opposition du lieu « pensionnaires » et du lieu « administration » (l’administration de la villa réelle est située dans un demi-étage sur façade, communiquant aux extrémités avec les deux appartements du directeur et du secrétaire général). Le côté pensionnaires n’a rien à voir non plus avec la disposition de la Villa réelle, plutôt un mélange superposant le côté déglingue de toutes les écoles d’art que j’ai vues, y compris l’ENSBA. Mais en général on y vit, et il y a entre ces ateliers des lieux communautaires, où en général on ne me connaît pas – souvenir assez direct des périodes, après mon séjour à Rome, où il nous est arrivé que des copains (autrefois j’avais plus d’amis qu’aujourd’hui) nous prêtent leur chambre en leur absence, et il fallait récupérer et la clé et le code de façon clandestine, c’était avant qu’on puisse faire cela officiellement, et c’est une récurrence à l’intérieur du lieu récurrent. Dans ce rêve c’était à nouveau côté administratif : un bâtiment moderne, un type m’y emmenait mais ce n’était pas le directeur, je devais attendre, j’avais dans mon sac un ordinateur et j’aurais à faire une démonstration des possibilités nouvelles des ordinateurs, ça ne m’effrayait pas mais je voyais bien qu’ils n’étaient pas trop concernés, ça expliquait tout ce chemin avec des métros, des tickets qui ne fonctionnaient pas, des mouvements de foule avec des contrôles par la loi, le fait que j’aie lu Giorgio Manganelli (on m’expliquait que c’était mal vu de s’intéresser aux morts), une discussion bizarre avec un type qui m’avait contraint à prendre dans mon cartable des objets dont je n’avais rien à faire, le bruit énorme de la circulation au-dehors, l’envie que j’avais de repartir, en tout cas une sorte d’accumulation qui mimait parfaitement mon rapport au monde réel. Et sur l’autre vague fond de peur : une fois que j’aurais ouvert mon ordinateur pour la démonstration, qu’est-ce que j’aurais donc à écrire ?

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2013.04.20


L’élément notable, dans ces rêves en extérieur dans ville confuse, était plutôt qu’une voiture exprimait ma position narrative. Nulle préciosité : je ne suis pas une voiture, une voiture n’est pas moi (encore que). Mais où était la voiture, manoeuvrant et se déplaçant,était ma position dans la ville, et aussi certain confort d’assister à la vie des hommes sans avoir à parler, ni serrer des mains, écrire encore moins. Sans doute comptait d’avoir assisté hier matin en direct sur le web à cette chasse de Boston, dans ses premiers instants, avec l’image d’une voiture qui recule, repassant ensuite en boucle toute la journée (quand justement il n’y avait plus que des voitures à voir).

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2013.04.19


Je n’avais pas dormi depuis très très longtemps. C’est le rêve qui me l’interdisait : tant que je rêvais, il n’était plus question de se replier dans l’intérieur du sommeil, de même que depuis longtemps le jour ne te permettait plus de te replier dans la médiation libre ou dépourvue d’angoisse. C’est bien de cela au fond dont traitait ton rêve. Et puis tu aurais dormi comment : il n’y avait ni fenêtre ni meuble dans ce lieu souterrain, qui pourtant t’était favorable parce que vaste. Tu n’as jamais été gêné de t’allonger sur le sol même, coincé contre l’angle du mur, et y dormir. Mais cela même était interdit ici. Alors tu déambulais comme on le fait dans le rêve : les yeux fermés et voir pourtant de l’intérieur. Et ce que tu regardais était ton propre rêve, celui qui te plaçait dans cette situation même.

[PLUS TARD] C’est un salon du Livre dans une grande halle close. C’est avant que se tienne le salon. Il y a de longues tables, et l’équipe prépare ces chemises qu’on donne aux participants des colloques. Je connais bien cette équipe, en fait celle du salon de Montreuil avant 2000, quand ils m’invitaient. Mais justement, tout ce temps a passé. Je dois faire trois interventions, mais aucune qui soit vraiment dans mes terrains de prédilection. Il se passe des choses assez bizarres : un atelier démonstration de poterie, mais tenue par mon copain Ricardo qui est mort (on me dit qu’il est juste sorti quelques minutes). Et puis dans ce bout du bâtiment, une sorte d’escalier qui grimpe à des appartements inoccupés. J’y suis monté, mais c’est sale, ça a été squatté, et je m’y perds. Plus trop moyen de retrouver par où je suis entré, et je vais être en retard. Alors le rêve reprend au moment où j’abordais l’escalier, et là je remarque que, dans cet espace intermédiaire, on a construit un appartement comme suspendu. Le chantier n’est pas fini, et j’apprends que ça appartient à FC, resté un ami que je considère comme proche, mais que je croise rarement (il me le reproche d’ailleurs). Dans la partie où doit se greffer son propre escalier, je vois avec étonnement une suite de commodes avec beaucoup de tiroirs, comme suspendue provisoirement en l’air, mais intégrées dans la construction, ce que je trouve une belle idée. Et puis un jeu de verrières dans le mur, un peu comme les dessins que crée l’autofocus sur le viseur d’un appareil-photo. Je décide de photographier ça avec l’iPhone et de leur envoyer, après ça s’embrouille.

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2013.04.18


Violent oubli au réveil. Du moins de la partie importante, celle que je voulais noter. Souvenir très précis de tout le reste. Qui n’avait comme fonction, mais je découre maintenant seulement, de me faire oublier le principal.

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2013.04.17


En plein centre-ville (mais de quelle ville, une ville moyenne que je ne reconnais pas), un grand bâtiment vitré rectangulaire, un peu comme la gare TGV de Massy, qui est réservé à la vie des insectes. Je suis frappé par ce qu’on aperçoit de l’insecte le plus grand du monde, très pacifique, mais plus grand que girafe ou tout autre animal, et puis bien sûr les phasmes, dont pas moyen de distinguer où serait leur instance vitale propre. On nous montre d’ailleurs des bouts de phasmes, jambes seules (Boston ?) qui sont devenus des insectes en tant que tel. C’est un lieu luxuriant et agréable, plutôt jardin botanique, où on est soudain très loin de la ville. En haut des oiseaux crient et tourbillonnent. Je suis frappé par le fait qu’ils ignorent et ignoreront toujours n’avoir connu du monde que cette version séparée et protégée. Plus tard je reviens, je dois montrer l’endroit aux miens et à des amis, je suis plutôt fier de leur faire savoir ce que j’ai appris, mais c’est devenu glissant, terne et froid. Je leur montre que d’un endroit élevé, ici, on aperçoit la mer au loin, c’est évidemment insuffisant. Et puis il y a des souterrains et cavernes glissants et maladorants, il faut bien cependant qu’on grimpe ça jusqu’au bout pour sortir.

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2013.04.16


Ça aide à être plus attentif à ce qui doit être noté, de ce qui ne doit pas l’être, me dit en gros ce petit bonhomme en me tendant une verre ou une tasse d’un liquide orange douceâtre – ça aurait plus la couleur et la consistance d’un gratin de potiron un peu trop liquide, évidemment je prends ça avec méfiance et ne le boit pas, et évidemment du coup je ne sais plus trop, ce matin, ce que j’aurais dû noter du reste des rêves.

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2013.04.15


Dans ces rêves qui suivent journée avec trimbalage et immersion dans lieu avec beaucoup de gens, il y a beaucoup de trimbalage et de gens aussi dans les rêves. Plus surprenant : aucun objet. À un moment donné, pour une histoire d’ampoule à changer (je ne fais pas les réparations nécessaires, je ne suis pas à la hauteur de ce qui me revient de tâche), il faut déballer un carton monstre, mais impossible de trouver ce qu’il faut dedans. À un autre moment, puisqu’il est question de déménager, changer de pays, on rassemble mes fringues et affaires, mais je n’ai même pas le droit de m’en occuper, ça tient sur un bout d’étagère et on le fait à ma place. Un déménagement avec changement de pays – reste du voyage au Maroc (un moment, j’épluche une orange et la mange), mais un Maroc vaguement transplanté à la Grière. Dans ce déménagement, ainsi balloté dans un monde de possession et d’objets sans avoir possessions ni objets (je n’ai que la parole, mais qui voudrait de quelqu’un dont la seule vocation est de parler, comme je l’ai fait ce jour-même à Metz), reste toujours sous-jacent ce mensonge ou cette culpabilité : j’ai fait croire que j’avais les moyens de vivre comme tout le monde, et je n’ai pas l’argent pour ça.

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2013.04.14


Normalement, on perçoit ce qu’il y a devant nous, ville, paysage, selon la perspective née du champ oculaire. Là, comme dans une photo en mode frontal, dès qu’on avançait dans cette fille, on ne percevait ce qui nous entourait, soit latéralement, soit devant, qu’en vue droite, sans perspective. On voyait les bords de la rue, les maisons, avancer d’une vue à l’autre toujours en frontal et jamais en perspective. J’insiste : ce n’était pas une particularité liée à celui qui regarde, mais une spécificité liée à la ville, le pays, ou cette partie de ville et de pays. Ça donnait une confrontation remarquable au réel, très plaisante finalement.

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2013.04.13


Deux lieux récurrents qui cette fois sont mis en contact et opposition. L’hôtel revient depuis des années et des années, avec variations constantes. C’est toujours hôtel de luxe où je suis un peu par erreur, où je dois éviter les entrées sorties trop repérables. Dans le lieu lui-même, d’autres poches récurrentes : un palier très haut (étage indéterminé) où j’ai une chambre, parfois je ne sais plus la retrouver. Une salle genre restaurant au premier étage, avec parfois sortie sur la ville (et différentes configurations du rapport à la ville), et une sortie en entresol, plutôt entrée de service, mais qui très souvent a un rôle, et donne parfois sur la mer. L’autre lieu récurrent, et cette fois-ci associé, c’est un genre de galerie commerciale donnant directement dans une gare, et l’espèce de buffet où on paye son café avant d’aller s’asseoir, promiscuité et courant d’air, mais dans la vie réelle ce sont des lieux où je m’installe souvent pour le travail le plus dense, vivant même avec culpabilité le bonheur même relatif (celui du travail qui se fait, tout simplement), à être dans cette sorte de plancher urbain et m’y sentir bien. La nouveauté narrative de ce rêve c’est d’avoir placé ces deux lieux récurrents indépendants dans une jonction immédiate l’un de l’autre, et c’est ce passage de l’un à l’autre qui va me replacer dans la sensation d’impasse toujours liée au rêve de l’hôtel, rendez-vous manqué, travail qui ne se fait pas, chambre où on n’a plus le droit d’entrer etc.

Dans un autre rêve, je suis dans un train, apparemment c’est lié à cette invitation pour Berlin reçue avant-hier, le train est bondé, c’est une histoire de colloque (il y a aussi le livre d’Aurélie Adler que je n’ai pas reçu, mais lu hier soir cet article avec cette impression que ce n’est pas moi, me souviens de bel échange avec elle mais il y a si longtemps – ou alors des interprétations qu’on me renverrait maintenant tout simplement parce que faux point de départ, la routine littéraire et pas l’évidence de l’écriture quand tu ne comprends pas la vie, donc lu cet article avec une sorte de culpabilité de n’y rien comprendre, ou bien qu’il me fallait tenir ça loin de moi, parce que je n’ai rien à voir avec ce genre d’approche qui vous renvoie sans cesse à la figure des trucs qui ont eu lieu à un moment précis de votre vie et plus jamais ensuite), donc dans ce train il y a E Delabranche, D Viart et V Hugotte mais je commence à m’énerver parce que ce qui fait rire E Delabranche et D Viart c’est qu’ils changent toujours d’identité l’un avec l’autre et je ne sais jamais lequel est lequel, je crois que c’est E qui est responsable de ce jeu mais je ne sais même plus auquel des deux je dois adresser le reproche, la preuve maintenant c’est DV qui me photographie m’engueulant avec ED, mais il photographie avec un appareil photo compliqué, qui est le seul appareil, c’est connu, capable de réaliser les photos d’ED, une référence pour moi, qui jamais ne découvre dans le réel la même richesse qu’il y trouve lui.

Et c’est la seule image de rêve en trois lignes que je voulais noter en fait : ce que j’ai à écrire, qui me fait quitter cet hôtel pour rejoindre le petit recoin de gare parce que c’est difficile, c’est lié à comment écrire est lié à une évidence du réel, ça semble évident mais à preuve ça ne l’est pas, si je n’arrive pas à l’écrire c’est qu’aussi bien je sais que j’aurai à écrire ces rêves à mon réveil et que ce sera difficile. Il reste une sorte d’idée abstraite, qui est celle que je souhaite écrire en quittant l’hôtel par l’entrée de service et tombant directement sur le petit recoin de la gare en courant d’air où je prends une petite table bancale pour écrire, en plein milieu de la foule, avec à peine une espèce de séparation cloison de verre : je n’ai pas à lutter contre ce genre d’idée que porte la thèse qui vient d’être publiée de cette jeune universitaire (c’est pour cela qu’elle ne me l’a pas envoyé ?), tout cela est un grand ovale dans un immense hall, un hall assez grand pour qu’y soit rassemblé à peu près toute l’humanité intellectuelle, mais je sais que c’est une figure, et dans ce qui circule autour des hommes dans ce grand hall vide, toi tu pousses simplement ton idée de travers et tu sais qu’elle se maintiendra dans la circulation commune. Mais ce qui se passe ensuite dans le train prouve bien que tu auras du mal, avec tes idées que toi-même tu ne sais pas exprimer, la preuve.
Note for self : pour chaque lieu récurrent, prendre en main sérieusement la liste des lieux réels associés et en faire l’inventaire, redessiner son histoire à l’envers : celui qui cherche à vivre uniquement dans les lieux qui pour lui sont des territoires de rêve – quelle fiction ça donnerait.

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2013.04.12


Les rêves où tu es mort. Tout continue. Ils ne savent pas. Les voix seules. Et le secret, ce que tu n’oses pas dire par la tienne. Finalement, tout comme d’habitude. Et pour toi, plutôt mieux, si ce n’était l’angoissse : sourde.

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2013.04.11


1
À nouveau cette situation transitoire dans une grande maison, dont le volume intérieur et la disposition s’apparente plus à celles des maison et hôtels visités lors d’invitations à Rabat et Meknès, mais sans s’identifier à elles cependant (maison occupée par BC à Rabat, construction de prestige datant du Protectorat, d’où à la fois la pensée et l’intervention évidente d’un architecte et la surdimension, et ce soir-là il pleuvait il y avait des fuites d’eau et fissures, ou comment la notion d’intérieur/extérieur et fenêtres en façade peut être renversée dans une architecture à patio comme à Marrakech – ou la domesticité qui continue d’être l’apanage du Maroc faisant que dans ces maisons et hôtels on aperçoit toujours des silhouettes furtives, passant d’une pièce à une autre sans communiquer avec vous). L’exposé premier, qui concerne cette notation, est le suivant : il y aurait beaucoup plus de risque pour le récit, et c’est seulement l’usage d’une langue ou l’exploration intérieure d’un nom, à ce que cette langue ou ce nom servent à décrire ou explorer l’intérieur de la maison, ce qu’il y a en haut. Au lieu de cela, l’absence de solution, l’absence de contact, les urgences à régler au-dehors font que j’utiliserai cette langue et ce nom pour apprendre à m’orienter dans les rues et le dehors, mais pas la maison interdite. C’est fragile, éphémère, mais ça revient obscurément, et de la même façon, dans plusieurs des rêves, qui eux n’ont pas vraiment d’intérêt, sauf cette sensation.

2
Qu’est-ce que la terreur dans le rêve, tu te demandais. Mais tu te le demandais dans le rêve même, et sachant que tu aurais à le noter. Et la voix intérieure, la voix du rêve, te répondait : « mais ceci, simplement ceci ». Toi, tu voyais une pièce vide, puis un couloir, large, avec des portes. Un silence comme protégé. Tu as voulu parler, mais c’était presque en hurlant, et de ces hurlements qu’on a dans les rêves, quand tout reste silencieux et que cela t’effraie encore plus. Et la même voix qui répondait tranquillement : « c’est toi-même qui l’exprimes, la terreur, si elle est ce couloir et que ce couloir est vide, c’est qu’elle est ce que tu portes en toi ». En fait c’était beaucoup plus simple, puisqu’il n’y avait même pas de voix, rien et juste ton immobilité face à ce couloir, juste une dominante jaune et juste la peur. Mais c’était bien le sens, l’exact sens.

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2013.04.10


Retenir d’abord la quantité de rêves inutiles. Figures lassantes, encombrantes. Revenir pourtant sur les noms et les corps liés à ces figures qu’on n’a pas à retenir, les lieux aussi. Donc par exemple Étienne Arlot et François Place, et finalement qu’ils auraient peut-être pu se substituer l’un à l’autre dans le même rêve, indiquant seulement un changement d’époque. Dans ces rêves encombrés, retenir aussi qu’ils étaient sans cesse des translations. Le plus intéressant que j’aurais voulu reprendre, je n’en ai plus les images, mais il s’appuyait sur sentiment très fort que marcher pour traverser une ville, même si c’est long et qu’on ne sait pas vraiment la bonne direction, c’est bien mieux que la voiture ou autre mode de transport : de toute façon ça ne pouvait pas être des transports en commun, puisque dans cette ville il n’y en a pas, c’est une ville absolument déserte, minérale, un rêve de ville. Et pourtant cette inquiétude permanente, qui ronge. Après c’était d’autres paysages, des vagues, bicyclettes, un objet encombrant et fragile (meuble avec des baffles et enceintes) qu’il fallait trimbaler au long d’une grève de rochers, puis hisser sur une côte brutale. Tout ça c’est des micro-paysages que je reconnais, micro-paysages récurrents et qui n’ont pas plus d’importance. Cette ville me semblait connue, sans pouvoir l’identifier cependant. Je dois reconnaître qu’une semaine après retour, les 14 jours du Maroc conditionnent encore l’approche, mer, ville, chemins, comme si le travail continuait, que c’est maintenant que se faisait l’acquisition. Ce qui est étonnant, c’est que cette image de ville, avec l’inquiétude et la traversée, si j’étais peintre je pourrais la peindre. Il me semble que je la vois assez nettement pour cela, bâtiments jaunes ocres, présence de perpendiculaires, quelque chose de massif, et ces rues désertes s’en allant très droit très loin. Quelque chose d’aveugle.

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2013.04.09


Dehors il pleut longtemps et avec violence, à grand bruit. La répercussion de cette pluie sur l’image de rêve c’est une voiture qui roule, longtemps aussi, dans les rues désertes et larges d’une grande ville. Je suis à l’arrière, je ne sais pas trop où on m’emmène.

Avec PA le hasard fait que nous louons chacun une chambre dans un couloir, plutôt une zone inutilisée, voire abandonnée, au dernier étage d’un appartement bourgeois (je connais les gens, mais pas lui), encombré, et qui ne nous plaît ni à l’un ni à l’autre. On se croise donc souvent. Dans le couloir de la location commune, il entrepose des bouts de métal et je trouve que c’est un peu envahissant. Aussi, ce matin, il a laissé plein d’eau par terre dans la douche. Sinon, il est réglo avec moi, je ne lui demande rien et réciproquement. Pour moi, je ne sais pas trop ce que je fais là, j’aimerais que cette période, qui n’est pas la plus gratifiante de ma vie, finisse par cesser et que je puisse partir. Je n’ai quasi aucune possession, rien qu’un sac, sans trop savoir ce qu’il y a dedans. Quand même un ordinateur portable, j’y fais attention. Dans la fin du rêve, je vois PA partir à une répétition d’orchestre, probablement rock, avec une guitare et un petit ampli, je trouve ça injuste.

Dans ce rêve, je suis à mon ordinateur, le vrai, je dois noter ces rêves, mais évidemment dans le traitement de texte le menu « fichiers récents » a disparu. Et quand je cherche via la fenêtre Finder c’est pareil, il n’est pas dans les dossiers des textes en cours, où j’étais bien persuadé l’avoir enregistré. Soudain je n’ai plus confiance en cette machine : le fichier est forcément là, c’est simplement parce qu’elle m’en empêche l’accès.

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2013.04.08


Une coque de bateau à repeindre. Pour voir par dessus la foule encombrée d’une venelle, tombant à angle droit dans une rue, je grimpe sur l’étroit et irrégulier mur de pierre qui le borde. J’ai un des enfants sur les épaules, il est lourd et me déséquilibre. C’est étouffant. Je tente de faire demi-tour, en longeant la paroi haute d’un bâtiment de pierre non identifié. Quand vraiment ce n’est plus possible, et toujours en maintenant l’enfant en équilibre sur mes épaules, je me suspends par les mains pour me laisser tomber. En gros, ça marche.

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2013.04.07


Ma mère avait parlé de ce hangar. Un hangar avec du bleu. Elle cherchait la porte mais ne trouvait pas. Un grand hangar. C’est dans sa tête à elle, mais pas de rêve. Je sais que je peux aisément rêver de ce hangar. Je le cherche dans mes rêves et j’y entre. Je sais que je pourrais lui donner par mon rêve la réponse au hangar qu’elle cherche, mais pas son rêve. Seulement, elle ne s’intéresse plus au hangar.

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2013.04.01


À nouveau je marche dans cette toute petite rue perpendiculaire à la mer. J’en reconnais la disposition, la rue (elle parallèle à la mer et la dune) qui la coupe juste après la grande maison close, et que parfois j’emprunte vers la gauche. J’en reconnais la saveur particulière de l’air, et la luminosité aussi. Mais le plus souvent je marche tout droit jusqu’à ce point où je sais la côte ici rongée, la mer brutale (ce n’est pas toujours le cas). Compte juste ceci : le rêve est récurrent, certes, mais le tableau que va m’offrir dans un instant la mer, l’île visible ou pas en face, le dessin précis de la ville presque indistincte sur l’horizon à gauche, et mon propre chemin aussi, sont totalement imprévisibles et dépendants du rêve même, non de sa récurrence.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 10 avril 2011 et dernière modification le 29 avril 2013
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