Nathalie Sarraute | Le langage dans l’art du roman

engagement & littérature engagée contre langage essentiel, la leçon de Sarraute


Ce que j’appelle réalisme, c’est toujours du réel qui n’est pas encore pris dans des formes convenues.

Il y a 10 ans exactement, s’éteignait Nathalie Sarraute. Nous privant même, ironie ultime, de fêter son centenaire. Ce n’est pas un anniversaire mode française (Koltès y passe, en ce moment : 20 ans qu’il est mort, lui). On est encore trop peu, tellement peu, à savoir ce qu’elle apporte de subversion intérieure. C’est une lecture difficile, exigeante. Mais mettez cette lecture entre les mains des étudiants d’aujourd’hui, et on touche la peau même du monde.

Sur Tiers Livre, un petit texte ancien, Envie de les secouer (ailleurs, aussi, un extrait de Entre la vie et la mort), et cette semaine un extrait de Ici lu par l’auteur, dans le double CD mp3 (15 heures de lecture !) que publient en hommage les éditions des Femmes.

Et, au coin du site, en date de février 2005, ce passage recopié de la conférence Le langage et l’art du roman. Même biais adopté, ce 19 octobre 2009, par Lignes de fuite : Quelque chose d’encore inexprimé qui résiste.

Suite des hommages :
 Fenêtres open space avec un extrait de Ici ;
 sur La revue des ressources reprise de l’entretien de Sarraute avec Serge Fauchereau et Jean Ristat (avec cette phrase hallucinante que je reprends ci-dessus en exergue).

Une pensée aussi pour Anne Sarraute. Image : autoportrait avec photographie de Nathalie Sarraute, 2005 (portrait par Xavier Lambours, une série magnifique). Et pour finir, ci-dessous [1] la liste des dernières requêtes Google concernant cet article, en ligne depuis bientôt 5 ans sur Tiers Livre : elle est pas morte, la marquise qui sortit à cinq heures !


Nathalie Sarraute | Le langage dans l’art du roman (extrait)

 

« Il nous faut des personnages vivants. »

« Nous voulons revivre une histoire, et de préférence une histoire d’amour. »

« Il nous faut une peinture de la société et des meours. Quel meilleur document que l’oeuvre de Balzac. »

« Il nous faut des révélations sur l’âme humaine, sur les grands sentiments. »

Et même on n’a même pas voulu se contenter de cela. On a dit : le romancier, puisqu’il est un si grand connaisseur de l’ême, doit en devenir l’ingénieur. Il devra modeler, édifier cette âme. Il ne se bornera pas à décrire la société, mais il devra aider à sa transformation ; il devra collaborer à son amélioration. Il fomentera les révolutions sociales ou assurera le maintien des conquêtes révolutionnaires. C’est, vous le savez, ce que veut la littérature engagée.

Après la Libération — et pour des raisons bien compréhensibles — le roman engagé dominait la vie littéraire. C’était un roman qui se voulait combatif, basé sur l’affection et sur les débats politiques et moraux. Jamais il n’a été moins autonome, plus destiné à rendre service.

Les écrivains qui perdaient de vue cette obligation essentielle, primordiale, étaient considérés comme des retardataires, des adeptes désuets de l’art pour l’art. Il était ridicule, un peu honteux, de se préoccuper de technique, de formes, de pur langage. Les romanciers qui considéraient que leur rôle était identique à celui des poètes, des musiciens ou des peintres, oubliaient leur devoir.

C’est alors, en 1956, qu’a surgi et que s’est affirmé le Nouveau Roman — bien que les ouvrages de ceux qui le défendaient aient été parfois antérieurs et même très antérieurs à cette date.

Il ne serait pas exact de dire qu’il était une réaction contre le roman engagé. C’était une réaction contre le roman traditionnel en général. Il avait des sources plus pofondes et plus lointaines. Il reprenait le mouvement si brillamment commencé dans le premier quart de ce siècle avec des écrivains comme Joyce, Proust, Kafka qui ont fait accomplir un grand pas en avant à la littérature.

Les tenants de ce qu’on a appelé le Nouveau Roman affirmaient que ces oeuvres n’étaient pas de simples accidents mais le développement naturel d’un art autonome...

Que le roman est un art comme les autres et que, comme les autres, pour vivre et se développer il doit constamment se transformer, écouvrir un nouvel ordre de sensations et de nouvelles formes, abandonner des conventions devenues inutiles, gênantes, et créer de nouvelles conventions qui seraient abandonnées à leur tout.

Ils affirmaient que, le roman étant un art comme les autres, la substance dont il est fait, le langage, en est l’élément essentiel.

Curieusement, cette affirmation, fondée sur une évidence, a provoqué et provoque encore beaucoup d’indignation et de levée de boucliers.

Et pourtant, ne suffit-il pas d’ouvrir n’importe quel roman, à n’importe quelle page, pour juger de sa qualité, sans avoir besoin de suivre le développement de l’intrigue ni de connaître les personnages ?

N’est-il pas évident que, si intéressantes et si excitantes que soient les histoires qu’il raconte, si vivants que soient, ou puissent être, ses personnages, quelque chose d’essentiel sépare le roman-oeuvre d’art du roman tout court. Sépare, disons, pour prendre des exemples dans la littérature américaine, Le Bruit et la fureur de Autant en emporte le vent.

Qu’est-ce donc ? Eh bien, ce qui saute aux yeux d’un lecteur, aussi averti et aussi sensible que celui qui comprend et aime la peinture ou la musique, quand il ouvre au hasard un roman, ce qui se dégage de chaque page, de chaque phrase, c’est une certaine qualité de langage.

La matière sur laquelle travaille le romancier, comme celle sur laquelle travaille le musicien ou le peintre, prend le pas sur le reste, s’avance au premier plan. Elle occupe la place d’honneur. Et, du même coup, le roman devient l’égal des autres arts.

Cette matière, si on l’examine, diffère de celle dont on se sert dans le journalisme, dans les discours ou dans la conversation courante.

C’est parce que Valéry s’imaginait qu’écrire un roman oblige à écrire : "La marquise sortit à cinq heures", qu’il considérait que le roman n’est pas un art et qu’il ne pourait jamais, quant à lui, écrire de romans.

Mais écrire des romans, c’est justement refuser d’écrire « La marquise sortit à cinq heures ». C’est une phrase qui appartient au langage le plus banal, le plus plat, à celui qui se contente d’être un instrument d’information.

La prose du roman, c’est autre chose. A elle aussi s’applique la distinction que fait Mallarmé pour la poésie, entre langage brut et langage essentiel. Le langage du roman est, doit s’efforcer d’être un langage essentiel.

 

© Nathalie Sarraute, L’Ere du soupçon, éditions Gallimard.

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responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne 4 février 2005 et dernière modification le 19 octobre 2009
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