l’art est une enculade

manque de patience avec la systématique de la provoc


Beau concept que celui du New Museum sur Bowery, bâtiment plus beau encore (voir les images de la construction.

On vous prévient aimablement de commencer par la terrasse puis de redescendre, la vue d’en haut sur tout le Lower Manhattan est à couper le souffle, et dans l’espace uniformément blanc quelques objets minimaux.

Au cinquième, un beau concept : balayage sur 12 écrans des actualités de chaque mois de l’année 1993, le voyage vertical dans le temps venant éclater de façon aléatoire dans les moniteurs.

C’est au quatrième que ça débraye. L’après-midi, au MoMA PS1, on retrouvera heureusement des artistes d’une autre ambition. Mais la chèvre, c’était encore le moins violent de ce qui était présenté ici.

Après tout, c’est légitime pour les artistes. À la violence du monde, répondre par la violence de l’art. Mais c’est un faire qui devient mimétique. On dirait que chaque signature de l’art contemporain engendre une galaxie de suiveurs, et qui compensent la forme héritée par le caractère monodique de sa réalisation. La chèvre, et le groupe familial (je m’en tiens à ces deux-là pour la galerie d’horreurs), on reconnaît la descendance de Robert Mason – figuration de groupes.

Ou alors c’est mon âge, ou la façon dont s’est établi pour moi le contact avec l’art, et ce que je lui demande pour mon travail, la notion d’une Entfremdung comme disait Brecht, et qu’Adorno a développé – je ne supporte pas l’art sans transcendance.

Ou alors c’est ma demande qui n’est pas au bon endroit : après tout, on n’offre que notre disponibilité perceptive ou mentale, on est en état de voyage, toutes défenses baissées, et la dette qu’on a aux artistes – ce qui se produira encore l’après-midi donc à l’autre musée d’art contemporain de New York, le PS1 – c’est comment le monde est convoqué, vient interférer avec la façon dont on ne le percevait pas, nous met en travail dans cet intervalle.

Aller faire un tour aux chèvres, en campagne on sait ce que c’est. Convoquer la crudité sans préalable, se légitimer de l’existence réelle de la brutalité, ou de son statut dans le monde, c’est légitime aussi.

C’est juste que lorsque cette violence du monde était saisie dans les mâchoires de l’art, elle emportait son tenseur inverse. Les deux oeuvres dont je mets des images là ci-dessous, elles étaient accompagnées d’une dizaine d’autres participant toutes du même fonctionnement.

Je n’arrive plus à m’insérer dans cette disponibilité où peut-être ça m’en dirait ou apprendrait plus. Je n’y arrive plus.

Je ne connais pas d’amis, littérature ou plasticiens ou photographes, pour qui la nécessité de convocation du réel, y compris dans cette brutalité – les images de desordre.net souvent me frappent par là, à distance de mon univers, mais il est là en permanence, le tenseur inverse, voire dans l’affirmation même de la démarche et de la quête du photographe. Peut-être que dans ce genre d’oeuvres (pas celles-ci en tant que telles, mais comme indice d’une tendance vraiment lourde de l’art contemporain), c’est la mutité sur l’artiste qui gêne. Que soit tuée la notion d’artiste : mais c’est peut-être aussi un enjeu légitime ?

J’ai eu ce sentiment là parfois dans certains livres – une sorte de réalité convoquée sans échappatoire, quand l’art d’un Selby, par exemple, même dans les lieux de plus grande dureté, maintiendra la lucarne.

Savoir qu’on peut se faire expédier hors du ring par chacun de ces arguments. L’art à quoi ça sert, ou bien qu’une représentation de cette sorte, c’est à nous de la retourner contre la violence qu’elle représente, et qu’on s’en libère alors, dans un grand rire. C’est juste que ça n’a pas marché.

Des fois j’aperçois ces trucs-là dans des galeries, le fonctionnement est repérable, on passe sans s’arrêter, à chacun ses conceptions, son travail, ses options. C’est plutôt une question à l’architecture : un bâtiment aussi fort, induisant tant à l’imaginaire, au rapport à la ville, cette extraordinaire Bowery superposant toutes les strates de l’histoire de la ville, et soudain, à ces représentations d’enfant convoquées, un heurt, ou une séparation.

Ou peut-être que c’est là, le heurt et la séparation : du droit de convoquer des images d’entant pour satisfaire à une commande de musée.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 13 mai 2013
merci aux 1526 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page