au feu rouge les vieux
vie des gens

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ou un autreTumulte au hasard  : on ne sait quoi de grave

Leur maison donne sur le carrefour, juste devant le feu rouge. Une maison simple, juste en rez-de-chaussée. Une porte avec un couloir, je sais parce que parfois je les ai vus lui et elle dans ce couloir ouvert, ou bien avec une personne que j'ai reconnue : l'infirmière du quartier, avec sa trousse. Il y a longtemps que je m'arrête à ce feu rouge : la route le long du fleuve accueille bien plus de circulation, alors on a plus de chance d'arriver quand le feu est rouge et attendre, que le contraire. A gauche du couloir c'est leur salon.L'été, la fenêtre est ouverte, il y a une table au milieu, une télévision au fond, on devine vaguement un canapé sur le côté, mais lorsqu'ils regardent la télévision, et que les volets ne sont pas clos, ils sont assis à la table. A droite, c'est la chambre, une chambre pas bien grande, le lit et une armoire l'occupent en entier. Chaque matin elle est ouverte en grand, et souvent la literie un instant sur la fenêtre. Rien de secret chez eux. Derrière, il doit y avoir une cour, mais pas grande. Il y a deux ans, la ville a refait le carrefour. Il y a eu pendant plusieurs mois des travaux. Il était sans cesse dehors. Les types étaient dans la tranchée avec leurs outils, lui il était debout à un mètre, qui les regardait. La circulation était déviée par un feu provisoire, il était près du feu, et regardait les voitures. Puis les travaux ont fini. Souvent, on passait devant la maison, il était derrière la vitre côté salon, silhouette droite, qui vous regardait à deux mètres, mais non : il ne vous regardait pas vous, on aurait croisé son regard. Il regardait l'ensemble, le carrefour, le feu rouge, la petite place de l'autre côté. L'été, il faisait traverser sa femme. Elle marche difficilement. Il l'aidait, ils allaient s'asseoir sur ce banc en ciment, sur la petite place. De là aussi on regarde le feu rouge. Il y a le fleuve, plus loin, de l'autre côté,mais je ne les ai jamais vus traverser côté fleuve. Du banc, on ne le voit pas, le fleuve. L'été, en tricot de corps, mais toujours avec son chapeau. Rarement je l'ai vu sans chapeau. Parfois, sur le pas de la porte, devant le couloir. Depuis la fin des travaux, ce n'était guère la peine de sortir, il regardait depuis sa fenêtre, présence familière. Comme moi c'est chaque matin à la même heure que la première fois je passe, je la vois elle qui s'active autour du lit, brasse le gros édredon, refait le couvre-lit, fenêtre grande ouverte. Depuis d'abord une semaine, puis deux semaines, puis trois semaines, elle continue, le matin, de faire le lit. La fenêtre du salon est ouverte aussi. Il n'y est pas. Depuis plus de trois semaines, elle continue, seule.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 17 juin 2005
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