techniques d’écriture
de l'écriture

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ou un autreTumulte au hasard  : ondes

Techniques d'écriture : le temps d'énonciation se déplace à mesure du présent du texte. Je parle, le texte avance, je parle maintenant depuis un instant différé : qu'est-ce qui s'induit pour la phrase de ce mouvement ? Il y a toujours en reflet l'idée d'un livre : le livre que constitueront ces histoires et ces phrases. Alors on rêve de les avoir déjà rencontrées. C'est un livre pas forcément volumineux, mais où tout est écrit très serré. On l'a déjà lu en entier. Lorsqu'on l'ouvre à la recherche de telle ou telle histoire, c'est très difficile : on tombe toujours sur une autre, jamais sur celle qu'on cherche. On se remet à lire, une histoire emmène vers une autre, on a oublié la première qu'on y cherchait. Techniques d'écriture : les listes. Listes de couples, listes d'accidents, listes de voyages, durée des séjours dans les villes. Noms propres, chambres d'hôtels, trajets et maisons aperçues. Rêver aux listes est déjà entrer dans l'univers où la langue a remplacé les gens, les lieux, les faits. Il y a les images géométriques qu'on cherche. Dans cette ville, chaque rue semblait un peu plus étroite, pas forcément plus noire, mais comme si on descendait, chaque fois une surface plus bas que la précédente. J'ai eu cette impression hier soir, encore, après m'être trompé de direction à la sortie du métro. Ce n'est pas une ville qui soit en pente, au contraire, chaque lieu où on marche est horizontal ou le semble. C'est que chaque franchissement vers l'intérieur de la ville vous a fait passer d'une surface à une autre, et que la nouvelle est plus bas que la précédente (à explorer). Techniques d'écriture : fin ouverte, élément hétérogène, repérage de l'élément grammatical mis en travail. Parfois cela précède l'écriture, parfois on le découvre en cours de route et on s'en appuie. Parfois c'est une fois terminé, en relisant, alors on élague. Le problème de la fin qui met en boucle, structure ouverte, résolution impossible, comme constante dans l'histoire des lettres depuis bien longtemps. Composition discontinue : ça s'écrit discontinu. On écrit d'abord, et puis on revient avec des armes. La bande son. Le zoom sur un geste, une attitude. Le panoramique caméra en arrière sur paysage, décor. L'attention aux phrases dites, quand bien même les paroles n'ajoutent rien, n'informent pas, mais posent dans le temps, l'espace et l'amour celui qui les prononce. Combien de fois avoir fait pratiquer ces exercices de discontinuité et amplification. Ensuite, quand on lit, tout paraît tissé d'un trait. Livré d'un bloc. Apprendre à convoquer cela, cet hétérogène, ce pluriel, ce fonctionnement d'écarts, dès le temps qu'on avance le premier flux du texte. Mais laisser ce livre discontinu, exhibant sa mécanique même. Principes de formes et couleurs : là où on écrit dans la tête, il n'y a pas de couleur. Elles viennent après, par superpositions et taches, comme séparées de ce qu'on nomme, tandis que la géométrie toujours est native : je ne sais pas raconter d'histoires. Vie des gens : reste une image, une proximité. Un visage, une voix, une attitude, et c'est dans un décor particulier, précis. Quelquefois, la tombe. Et tout de là s'en va vers l'arrière. Qu'on approche, et tout cela fuit. Dans ce qui fuit, on attrape. Images chacune aspirées par l'arrière, disparaissantes : et par ce mouvement même nous permettant trace. Avoir affaire à l'énigme, mais de plus près. Aujourd'hui, en stage, juste comme ils allaient terminer le temps d'écriture, avant qu'on aille lire, leur avoir demandé, moi parlant en marchant, eux encore penchés sur les feuilles ou rêvant : « Êtes-vous sûr d'avoir pris assez de danger dans vos textes ? Y a-t-il à tel ou tel endroit du texte une phrase qui pour vous soit dangereuse, et dont on puisse pour le lecteur aussi souligner ce danger, l'ambiguïté, le risque ou le malaise ? Je ne vous demande pas de rien dévoiler, seulement d'indiquer que là il y a secret. » Puis, comme ils récrivaient, toujours à voix haute pour le groupe, un peu à distance, j'ai demandé : « Y a-t-il un mot seul, un mot singulier, un mot qu'on pourrait dire égaré, qui à un endroit ou l'autre du texte pourrait venir sans avoir rien à y faire, un mot qui n'appartient pas préalablement au vocabulaire du texte mais un mot caillou, gravier qui, si on l'écrit décale la totalité de la sonorité, de la rémanence du texte ? Quel est ce mot, à quel endroit du texte l'installer ? Réfléchir à ce mot, égaré... »

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 22 juin 2005
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