femme devant une fenêtre
variations pour une pièce vide, suite

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ou un autreTumulte au hasard  : agitation

[version 3 _ la version initiale de ce texte a été écrite pour Bérangère Bonvoisin, qui l'a créé en août 2005 à la Mousson d'été de Pont-à-Mousson]
C'est une femme. Elle est dans une pièce, je ne vois pas la pièce, une pièce qui peut être vide. Il y a cependant une fenêtre. Elle est devant la fenêtre. Je connais cette femme. Je dis : une femme devant la fenêtre, une femme dans la pièce vide, parce que ce que je connais d'elle m'en sépare et m'aspire en même temps : moi , je sais son secret : moi je sais pourquoi elle, là, immobile, qui me tourne le dos, devant la fenêtre. Mon histoire traverse la sienne, nos histoires ont eu croisement ou ont fait routes voisines, elle sait des choses de moi comme je sais des choses d'elle, dont ni elle ni moi n'aimerions confidence. Alors je dis : une femme, dans la pièce, regarde par la fenêtre. Elle est seule, elle ne sait pas qu'on la regarde : si je pense, moi, ou chacun, à cette masse de secret qu'on porte, alors chacun sait cette silhouette, quelque part, immobile, de qui il s'agit et quel est le secret. La fenêtre est fermée, ouverte, une fenêtre vous sépare toujours de ce qu'au-delà vous regardez. Elle, c'est au-delà, qu'elle regarde. On a besoin de ce temps, devant la fenêtre, on a besoin de tourner le dos, on a besoin de ce silence et qu'on vous laisse. On a devant soi ce qu'il y a à voir, là-bas, par la fenêtre : paysage, cour, la mer ou rien, juste ce qu'on voit chaque jour par sa fenêtre, un camion garé, des gosses qui font du bruit, une voiture qui klaxonne ou rien, terriblement rien, personne qui dans cette rue à cette heure passe, personne à cette heure ou dans ce paysage qui surgisse. Maintenant j'y vais, je suis à la fenêtre : cette femme maintenant, c'est moi. Je regarde par la fenêtre. Je me concentre sur ce que je vois, le paysage, la rue, le camion. Vous les voyez aussi, par moi qui le dis. Vous le reconstruisez mentalement, parce que devant vous suis cette femme, à sa fenêtre, qui regarde. Alors ce sont vos fenêtres, ce sont votre rue, et le camion qui ce matin était garé. Alors c'est vous-même, devant la vie de cette femme qui vous est proche, elle devant sa fenêtre. Je me retourne vers vous, je vous apostrophe : quelles vies portons-nous, de trop d'inaccompli, et de ce qui fut manqué, ou d'égaré, ou de ce que nous n'avons voulu dire ? Nous-mêmes, un instant, chacun devant sa fenêtre, on le savait bien : une foule, dans votre dos. Des respirations dans l'ombre. Des présences, derrière votre épaule. Avec vous d'autres regardaient la même fenêtre. Moi je le sais pour moi : un jour j'ai tourné le dos, je suis partie. Elle, elle a continué de regarder. Je n'ai pas voulu voir, je n'ai rien voulu savoir, et qui souffre, et qui pleure, qui attend. Soi-même on a préféré partir, comme je pars. Vous resterez devant la fenêtre vide. Une femme a été là, qui a inventé dans le noir une fenêtre. En partant, je la laisse. On porte avec soit trop d'ombres : on regarde, non pas le camion, l'arbre, le paysage, les ombres s'approches. Qu'on soit silencieux, immobiles, encore elles approchent. Il y a le passé, l'égaré, le manqué. On se reprendrait par la main, on recommencerait autrement. On se serait aimés. Mais non, personne. Il y a moi qui vous parle, et là, rien, personne, pas de fenêtre. Vérifiez, levez-vous, marchez, entrez, venez : imaginer la fenêtre, rien de plus facile. Mais laissez donc maintenant, juste là, regardant cette fenêtre imaginée, venir dans votre dos les ombres, et qu'elles approchent.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 janvier 2006
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