simple abaissement progressif d’une plaque
de la boutique obscure

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ou un autreTumulte au hasard  : cinéma

Dans le film, dès qu'on s'asseyait et que cela commençait, c'était blanc uniformément. Et puis là-bas, la ligne noire, et la silhouette comme surgie de derrière vous qui court jusqu'à cette ligne : c'est une paroi, une paroi blanche. La silhouette se déplace le long, cherche à gagner un côté, puis l'autre côté, mais il n'y a pas de limite, ou alors jusqu'où faudrait-il courir ? Maintenant on est avec le personnage, juste derrière lui. C'est un homme. On voit les mains, on connaît ces mains, il cherche à tâtons, là, vers la fissure, en appuyant, en pesant, arriver à déplacer : ces parois ne donnent pas une impression de solidité. On sait bien, dans un film, comment on construit ce genre d'illusion. Une maquette grande comme une boîte à chaussures, qu'on filme de très près, et puis ensuite le personnage devant un fond uni de même couleur, et l'effet de réel en superposant les deux images. Ce qui est réel, c'est l'abaissement du plafond. Ce sont deux plaques qui baissent l'une vers l'autre. Un mouvement continu, soudain un genre de craquement sourd et voilà, ça baisse. Maintenant, en levant le bras, l'homme pourrait déjà presque toucher le haut. Il longe la paroi, il y a un vide, il a essayé de soulever, ne peut pas, va plus loin. Cela continue de baisser. Même si brusquement on voyait l'arrière des choses, c'est-à-dire : la maquette blanche avec les parois qui se referment, et la caméra filmant cela comme un jouet, et puis lui, l'acteur sur le fond blanc mais dans une pièce technique de taille presque ordinaire, entouré de projecteurs, avec le chef-opérateur, un assistant, le réalisateur qui donne des ordres (mais cette première surprise : le réalisateur a même visage que l'homme), cela ne changerait rien à l'angoisse qui monte. L'angoisse ainsi deux plaques qui sur vous se referment et vous écrasent et vous courez jusqu'à épuisement, cherchant un interstice, quand l'interstice proposé ne peut suffire à vous laisser passage. A ce moment-là on comprend que la projection avait commencé bien avant votre arrivée, que ce film fonctionne en boucle, que l'épuisement de l'homme et l'abaissement de la plaque sont un processus infiniment continu, et vous portez les mains à votre visage, le palpez savoir si vous êtes encore vous-même : parce que c'est vous, là-bas, le type qui court, rampe, essaye encore une fois de peser de tout son poids sur ce qui lui paraît la seule issue possible. C'est vous et comment ou quand vous aurait-on filmé, c'est vous pourtant. En tout cas c'est un rêve que j'ai souvent, ces temps-ci.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 17 juillet 2005
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