l’aube en voiture
suite autobiographique

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ou un autreTumulte au hasard  : table à dessin (une rupture)

La première fois c'était quand : je crois que c'était dès la première voiture et pourtant ce n'était pas confortable d'y dormir. Je me souviens d'une nuit face à la mer, arrivé tard, et puis enroulé dans un duvet sur le plancher arrière comme j'avais pu, puis au matin voilà, seul entièrement sur la plage dans la grande magie des lumières d'aube, pissant oui sans doute dans la dune et puis marchant jusqu'aux vagues, duvet sur les épaules, enfin quoi,, revenant à la voiture, m'asseyant au volant : gribouillant dans un carnet oui sans doute, j'ai toujours gribouillé dans un carnet, c'est la jouissance exacte de ces moments d'exception. J'ai eu de nombreuses périodes sans voiture. Pour travailler à l'étranger. Alors c'est l'arrivée dans la ville inconnue qui remplace, le train qui vous dépote au matin à Petersbourg qui s'appelait encore Leningrad, les sonorités des voix, les odeurs de la gare, le chemin qu'on fait à pied pour trouver un hôtel et puis ensuite comment on s'oriente dans la ville, la pause qu'on aura avec le carnet cette fois dans le musée, avoir toujours aimé s'asseoir dans les musées et rester devant telle toile en oubliant les autres mais tant pis, disposer ainsi d'une collection de musées mais si partiellement vus, intensément traversés pourtant grâce au carnet et que c'est lié au même territoire mental exactement que cette habitude de nuits dans les voitures, de partir seul en voiture, se poser quelque part et y passer la nuit. Dans les paysages sauvages qui me tiennent le plus à cœur, ceux de la côte ouest de Haute-Écosse par exemple, ces tourbières et ces caps que je considère comme l'essence de mon paysage natal, voire comme une survivance aujourd'hui de ce qu'était mon paysage natal, m'obligeant à y recourir, y revenir, pour retrouver le rapport à l'espace et au ciel et aux lumières ou à ce vent de mer impalpable qui est pour moi la définition d'enfance, revenir donc en Écosse là-bas dans le cap Wrath et que cela soit seul, exactement seul, la haine que je peux avoir pour ces gros insectes de camping-cars qui se posent sur les parkings devant les dunes, ou sur le moindre promontoire comme si leur coquille permettait de goûter quoi que ce soit : moi je plantais la voiture, je marchais avec le duvet, je dormais dans le sable, et quand l'aube devenait trop froide je revenais à la voiture, enroulé du duvet, pour faire chauffer du café en poudre sur un camping-gaz, et puis ensuite m'asseyait là, dans la voiture, pour ouvrir le carnet et laisser les heures se faire. L'idée même d'une nuit en voiture je peux la dater exactement, nous étions six et c'était dans cette Ariane de Yann Macé, grosse bagnole déjà démodée pour l'époque mais c'était le seul à avoir son permis, le seul à avoir une voiture. On avait dormi je ne sais où devant le fleuve, puis une fois lui le premier réveillé il nous avait convoyé devant la gare où étaient les seuls bistrots ouverts et ainsi de suite, je ne sais pas ce qu'est devenu Yann Macé. Plus tard j'avais ce break Ami 8, en fait j'ai toujours apprécié les breaks et véhicules utilitaires : je m'éloignais de Bordeaux, je rejoignais ces villages sur la Dordogne, l'important c'était de quitter la grande ville, et pareil si c'était vers la mer. Dans cette voiture je pouvais m'allonger sur le plancher de métal puisque j'avais enlevé la banquette arrière et dans une sorte de carton à demeure, sous le duvet, j'avais cette chaufferette pour le café instantané. En Inde, je prenais des cars de nuit, ou même l'avion, mais j'en parlerai ailleurs. C'est pourtant le même sentiment que vous cherchez et trouvez. Les heures vides, la variation des lumières, l'éloignement radicalisé puisque personne ne saurait vous trouver là. Il y a eu les allers-retours en Allemagne, l'installation à Berlin, partir en fourgonnette, dormir en route. Ces parkings d'autoroute, le bruit du passage qui ne cesse pas mais qui rythme : tiens, encore l'été dernier, quittant le festival d'Avignon, passant à Montpellier vers les minuit le dernier soir, et dormant sur une aire près de Carcassonne : peu importe om ce soit, pourvu que cette bascule lente du matin, et le spectacle de l'humanité dans son transit arbitraire où qu'elle soit. Cela ne me servirait pas d'en dresser l'inventaire. Plutôt cette pulsion et qu'ainsi elle me revienne. Je me souviens avoir possédé pendant quatre mois une GS rouge d'occasion dont le moteur était musclé sport : elle consommait beaucoup d'essence, je m'en était débarrassé. Mais dans ces quatre mois la fascination brève que ç'avait été de pouvoir se rendre n'importe où, fonds de Bretagne ou cœur de Paris, et vivre dans la coquille en pratiquant la journée où je voulais et à quoi je voulais (par exemple dormir l'après-midi, quand il y a du chaud sur les vitres, et repartir à la nuit, rouler où on veut, se rendormir juste avant l'aube et se réveiller pour le moment du carnet). Quelquefois, dans la voiture de maintenant, je m'encombre : une guitare, l'ordinateur dans son sac, et ce déplacement qui fait qu'on peut prévoir à la demi heure près l'arrivée même à huit cents kilomètres de là, la monotonie des heures à 130 (je respecte depuis un an le 130), puis toujours préférer quand même ces routes sans issue, les repérer sur la carte à condition qu'elles butent sur de l'eau, rivière ou mer ou qu'importe, pourvu qu'au réveil il y ait l'eau, et qu'on puisse ouvrir le carnet, ou déplier le couvercle de l'ordinateur, avoir soigneusement ménagé sa batterie pour). Ainsi donc hier.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 juillet 2005
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