offshore, 02
suite autobiographique

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ou un autreTumulte au hasard  : image

A Sakkhaline je ne suis pas allé. On rêve de châteaux forts imprenables. Dans ces mers assiégées l'hiver par les glaces, dans ces zones que plusieurs pays revendiquent, on a volontairement ou pas dressé sur la mer comme des carapaces. Elles sont arrimées. On y vit. La photo date évidemment de quand je travaillais moi aussi pour ... Mais c'est un collègue qui l'avait prise, et m'en avait offert le tirage, alors que déjà j'avais moi-même commencé cette collection de clichés: là où vous arrivez n'importe où de par le monde, juste avant que se refasse ce sentiment de présence par quoi n'importe lequel de ces endroits devient à lui-même totalement suffisant. Le collègue me disait qu'il n'avait guère eu besoin d'utiliser les vêtements chauds dont il s'était muni. La carapace suffisait. "L'eau est un thermo-régulateur suffisant", prétendait-il, et l'ensemble était gonflé des machines diesel habituelles dont la chaleur compensait l'air extérieur. "On le respirait, le gas-oil", disait mon collège, insistant aussi sur le fait que les vibrations étaient à Sakkhaline (nous disons Sakkhaline puisque telle était la ville d'où on décollait et revenait, mais le nom exact de la plate-forme, et qui la désignait comme telle, était Sakkhaline II), des vibrations disait-il insupportables si on souhaitait rester debout. Il ne partageait pas la langue des quarante hommes et de la dizaine de femmes ("des scientifiques, des dures") qui s'y relayaient ("là-bas on les laisse deux mois plein, mais alcool seulement le samedi soir, avec un service d'ordre de six qui ne boivent pas, mais si un coup de couteau part trop vite on peut toujours dire que le type est tombé à la mer, c'est arrivé, trois parlaient anglais ils m'ont dit"), et sinon avec tous ces hommes et ces femmes dans les coursives de métal silence ("c'est si grand, disait mon collègue, tu t'y perds, quelquefois tout te paraît désert: ils auraient tous disparu, tu te demandes?"), ou des grognements par les trois mots de russe qu'il avait retenus, j'en savais plus que lui. Ce sont des châteaux forts sur la mer que rien ne pourrait détruire ni atteindre, du métal de de l'eau mais habité: "Quelquefois le soir tu bloques une chaise sous la poignée de la porte, disait mon collègue, la peur tu comprends..."
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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 4 mai 2005
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