vie de François X.
vie des gens

retour sommaire
ou un autreTumulte au hasard  : curiosités

Je l'ai rencontré l'année dernière. Dans cette maison de retraite d'une toute petite ville de province où m'amènent les obligations familiales les plus rapprochées ou sacrées, lui il marche au ralenti dans les couloirs. Il est désoccupé. Il n'a pas l'âge des autres pensionnaires. Il demande une cigarette, je n'en ai pas. Ou alors cinquante centimes pour la machine à café, une infirmière intervient : -- Non, François, tu sais bien que tu ne demandes pas d'argent... J'ai ainsi appris son prénom. Il revient encore, à sa ronde suivante. -- Vous croyez que je vais mourir ici ? Je réponds ce que je peux. Qu'il n'est pas temps. Qu'on se repose et puis on part chez soi. C'est comme s'il ne m'avait pas entendu : -- On meurt, ici ? J'apprendrai qu'il vivait avec sa mère, qu'il est ce qu'on dit un simple. Sa mère est décédée, lui personne n'en voulait, et aucune raison de l'installer dans un établissement psychiatrique, on l'a pris ici. Ainsi restera-t-il dans sa ville, même si on n'en voit quoi : le toit des immeubles, la route au loin ? Un portail électrique empêche les pensionnaires de s'échapper, dérogation à un adorable vieux qui promène un gros chien au bout d'une ficelle et maintient un bout de jardin, avec des tomates. Je l'ai revu hier. Un an exactement. Dans le petit réfectoire, quelques têtes qui étaient là l'an dernier, d'autres nouvellement arrivées comptabilisent autant de départs. Lui, il est dans le couloir. Il marche lentement, comme à ne pas regarder sur les côtés, et seulement devant lui. Nous sommes sur sa route, il s'arrête et nous regarde : -- Je vais mourir ici, vous croyez ? Les mots sont les mêmes. On répond une phrase gentille, qu'il va se reposer encore ici quelques jours et partira. -- On meurt, ici ? Il n'a pas écouté. Il a perdu des dents. Il regarde plus loin derrière nous, vers le fond du couloir, quelque chose d'indéterminé, peut-être intérieur. Il s'est déjà éloigné. Dans le coin où le vieux si gentil avait ses tomates, la terre est sèche et durcie. Oui, on meurt, ici.

LES MOTS-CLÉS :

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 août 2005
merci aux 231 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page