Saint-Christophe
vie des gens

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ou un autreTumulte au hasard  : que

C'est depuis l'accident. On ne peut pas prévoir, un accident. Et pas de sa faute, et sur une route qu'on prend tous les jours, qui peut savoir : un idiot qui vient en face, qui aurait bu ou pas bu, en tout cas qui va trop vite et qui arrive là juste devant vous. On m'a téléphoné, on m'a dit : il est à l'hôpital. Quand je suis allée à l'hôpital, on m'a dit qu'on ne savait pas, qu'il était trop tôt. Après ça a duré longtemps. On l'a envoyé dans un établissement. Même moi, je n'y croyais pas. J'allais le voir, évidemment. Il parlait quelques mots. On le poussait dans un fauteuil. Puis c'est revenu. C'est étrange ces maisons : certains c'est juste comme ça, un matin ça vous prend, ou alors un virus, une saleté, quelques-uns c'est des mois et des mois. Ou alors d'autres c'est de naissance : il y en a un, c'était devenu un copain, je lui amenais des cigarettes, on plaisantait. Il n'avait que les mains, couché sur le ventre, et il bougeait son chariot comme ça, il me disait : au moins, vous avez votre amoureux. Je le poussais sur la terrasse, mon amoureux, s'il faisait beau. Il voulait savoir si on avait touché l'assurance, et puis ensuite ça le tracassait, parce qu'on n'avait pas touché tant que ça, de l'assurance. Au moins tu es pris en charge, je lui disais. Et ce que j'avais fait la veille au soir, en rentrant. Quelquefois j'étais restée le faire dîner : on dîne tôt, dans ces maisons. Puis il y arrivait seul, il fallait le laisser faire des progrès. Ce n'est pas bien gai, de toute façon, quand le soir tombe, avec leurs lumières au-dessus, et tous ces gens qui mangent. Alors je reprenais la voiture, je rentrais. Je passais faire une course, je passais voir une copine : on a besoin, après. Je lui disais comment c'était, à la maison. A la maison on fait un peu la même chose, ça s'invente comme on veut. Je n'aime pas que tu téléphones, une autre fois, je lui ai dit : à quoi bon te faire des soucis. Parce que maintenant il pouvait téléphoner, et comme ça ne répondait il réessayait, réessayait. On se téléphone le matin et puis voilà, je lui ai dit : je lui téléphonais le matin. Puis je lui parlais de ses progrès. Maintenant il se levait, et avec les béquilles je l'emmenais sur la terrasse : appuie-toi bien, je lui disais, et je sentais sa main, là, crispée, mais c'était des progrès. Le travail ça ne change pas beaucoup, je lui disais. Et la tête des gens, quand tu vas aux courses, c'est pas bien changé non plus, je lui disais. Il s'était fait des amitiés, dans la maison : je disais, de la fille aux béquilles, qui mangeait à sa table, que je devrais bien être jalouse, c'était pour rire. L'autre sur le ventre, qui poussait son chariot avec ses mains, il me l'avait dit : vous n'êtes plus comme avant... Il ne vous arrive pas un truc comme ça sans qu'on change au dedans, j'ai dit. Mais comment le lui dire à lui, tout content de savoir que bientôt il rentrerait. La rééducation se fera chez vous, m'avait dit le médecin, comme si c'était le but de l'opération, que j'aurais dire merci. Moi je pensais : c'est une impasse, voilà, une impasse. J'en suis là.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 23 août 2005
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