Saint-Pierre des Corps, bis
des trains pris par erreur

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ou un autreTumulte au hasard  : entier

Des trains qu'on prend, quand on ne doit pas les prendre. Cela m'est arrivé cette semaine : prendre un train qui n'arrête pas à Saint-Pierre des Corps, la gare qui dessert mon domicile, contraint d'aller jusqu'à Poitiers, attendre une bonne heure au buffet de la gare, devant un demi tiède, le train qui repartira vers Paris et pourra me laisser chez moi, où j'arriverai en pleine nuit au lieu des habituelles heures et rituels du soir, de la lecture (je n'avais même pas de livre, et plus de batterie dans l'ordinateur). Et pourtant, il y a encore deux mois, comme il m'avait amusé, le type qui va à Rennes et, sitôt quitté Montparnasse, découvre être sur notre ligne : descendant à 23h à Saint-Pierre des Corps, pas de correspondance ou de retour avant le lendemain, il a fait quoi (j'ai filé à ma voiture sans lui demander ses projets). Ou bien, début janvier, mon voyage avorté à Biarritz, départ le matin et retour le soir parce qu'il a fallu faire demi-tour à Bordeaux cause grève, tout bloqué à Bordeaux Saint-Jean, les coups de fils envoyés là-bas au théâtre de Biarritz où devait avoir lieu la lecture avec Jean-Pierre Siméon, qui a dû faire les deux rôles. Ou encore, aussi cet hiver, la dame de Strasbourg qui oublie de descendre à Nancy (moi, j'étais monté à Nancy, pour revenir vers Paris) : c'est un train allemand rapide, d'ailleurs plus confortable que les nôtres et équipés de prises électriques, ce qui me fait les préférer. On peut d'ailleurs supposer que c'est pour éviter d'encombrer ces trains avec le trafic local qu'ils ne se sont pas bousculés pour annoncer l'arrêt Nancy - ou bien dormait-elle, la bonne dame. J'imagine une nouvelle façon américaine, ou scénario film standard sympa, l'arrivée Paris le soir, les coups de fil, la nécessité de dormir là mais où ? Michel Tournier ou d'autres en feraient un roman pour les prix : la rencontre de hasard, l'échappée nuit, terminus temps sur le même quai au matin. Mais c'est comme de voir les gens faire des mots fléchés ou mots croisés (ou cette nouvelle mode d'arranger des chiffres dans des carrés, comme de ne jamais arriver à boucler le budget de fin de mois), aucun intérêt pour l'écriture prévisible, quand bien même l'issue réelle ne le serait pas. Quelquefois, c'est cocasse, nos histoires de train, nous qui les prenons souvent. Ce type qui fait tomber son téléphone portable dans le chiotte du TGV, met la main pour le récupérer, et coincé au poignet. Arrêt d'une demi-heure à Vendôme-Villiers, le temps que trois plombiers emmènent le quidam, bras toujours coincé dans le chiotte démonté. Autrefois, il y a très longtemps, lors de mon premier hiver à Paris, cette usine pour laquelle on réparait ou installait des machines à souder par faisceau d'électrons m'avait envoyé à Saclay, au Commissariat à l'énergie atomique de Saclay (il ne faut pas croire l'enseigne, jamais vu - à l'époque du moins - industrie plus cafouilleuse). Le chantier se terminait, le soir ce serait les vacances de Noël, le midi on avait arrosé un anniversaire au self puis dans le labo lui-même : le Commissariat à l'énergie atomique marche (marchait) selon une horloge plus relaxe que la moyenne nationale. Le RER me ramène à Châtelet - Les Halles et quand j'ouvre les yeux je vois les gares défiler, mais à l'envers : j'étais allé au terminus et reparti dans l'autre sens, expérience désolante. Et si, soudain, c'est toute votre vie qui partait ainsi à l'envers ? Ou parfois, après le départ d'une grande gare, un trajet qu'on a déjà fait, mais dans la fatigue du séjour, du travail, l'impression qu'on ne reconnaît pas le paysage qu'on n'est jamais passé par là, que cela ne doit pas être le bon train ? L'incertitude où vous êtes se propageant à tout, aux proches, à votre vie même. L'an passé, ce n'était pas une illusion, je ne sais pas pourquoi ils avaient dévié le Paris-Nancy sur un autre itinéraire jusqu'à Épernay : une trouée dans le temps ordinaire. Parti pour un voyage si banal, où donc j'allais débarquer, qui m'attendrait, me connaîtrait seulement ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 29 août 2005
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