un type agité
vie des gens


Voyage à Saint-Nazaire où se joue ma pièce Daewoo : ainsi, tout au long de l'écriture de ce Tumulte, ces traversées brèves, mais partout en France, pour une ville dont je ne verrai que ce cube noir et vide qu'elle réserve en son centre pour le théâtre. Un hôtel, et à nouveau le train : cette écriture tenue au jour le jour aurait-elle été différente si elles, les quatre actrices, les saltimbanques, n'avaient pas arpenté, mais en y demeurant chaque fois dix jours ou trois semaines, les villes de France ? Et encore une fois, après deux jours de rencontres, lycée, étudiants, salariés, débat d'après spectacle, à la gare quand tout est encore dans la nuit. J'ai rarement vu quand même personne si agitée. On était samedi, il était 6 h du matin mais ce début septembre il faisait tout noir encore : je croyais que le train serait vide mais non. A mesure les gens surgissaient là sur le quai, d'ailleurs il faisait très doux, on sentait les trois mois d'été jusque dans le ciment. Un homme bricolait son téléphone, on entendait les sonneries bizarres qu'il essayait et dont aucune ne lui convenait, les touches émettaient chaque fois un cliquement de machine à écrire, comme si c'était nécessaire. Une fille s'était assise sur le même banc que moi et m'a demandé si le train s'arrêtait bien à Nantes : bien sûr qu'il s'arrêtait à Nantes, où est-ce qu'ils iraient, sinon, tous ces gens autour de nous, un samedi matin, encore dans la nuit ? Là-haut, dans la passerelle vitrée, une employée poussait une machine à nettoyer le carrelage. C'est à ce moment-là qu'il a surgi : agité, oui, il l'était vraiment. Habillé comme on le fait pour une fête ou un repas entre amis, habillé du soir, et pas pour aller au travail un samedi matin à 6 heures, sur le quai de la gare de Saint-Nazaire. Il a marché le long du quai comme si son voyage dépendait d'où il monterait dans ce fichu train, parti du Croisic trente minutes plus tôt, qu'on attendait avec un petit retard évidemment et qui remonterait jusqu'à Orléans (moi aussi je serai descendu avant). Il s'approchait des gens, les regardait comme si évidemment il allait demander quelque chose et puis ne demandait rien. Il est allé se planter sous le panneau qui indiquait {retard cinq minutes} (c'est toujours ce qu'ils disent), puis sous la pendule de la gare comme si la regarder de plus près la ferait avancer plus vite. Il portait un genre de sac à dos, mais le portait à la main : il s'est mis à fouiller dedans, il y avait plusieurs poches, semblant ne pas trouver ce qu'il cherchait. Et puis il a demandé à un type, là juste devant nous, si le train aurait beaucoup de retard et s'il y avait eu une annonce au haut-parleur. L'annonce au haut-parleur venait d'avoir lieu : il ne l'avait donc pas entendue ? Le type a répondu qu'il n'en savait pas plus que les autres. Le train finalement est arrivé, retard effectivement cinq minutes et pas plus, il est monté dans un autre wagon et je ne suis pas allé voir. A Nantes, je l'ai vu passer juste contre ma fenêtre. Il avait l'air effrayé encore. Un jeune, pourtant, presque un adolescent. Ses fringues en trop, son sac à la main et gonflé, les yeux qui regardaient de tous les côtés comme si un message qui lui serait réservé allait soudain être ici accroché, et puis voilà, il a pris le passage souterrain et le jour se levait, le train est reparti. Je n'aime pas l'inquiétude des autres. Il m'a semblé la porter tout le retour.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 11 septembre 2005
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