un bon sourire satisfait, voilà
de la boutique obscure _ à O.B.

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ou un autreTumulte au hasard  : que

J'avais rendez-vous avec mon éditeur. On a régulièrement ces rendez-vous, ils comptent. Autrefois, longtemps, c'était avec Jérôme Lindon : j'arrivais un peu à l'avance dans le quartier, et j'allais boire un café dans un bar minuscule mais très populaire (à l'écart du boulevard, mais près de la Poste, on y retrouvait les livreurs, les inoccupés, et les respectables qui viennent s'avaler très vite leur dose de vin blanc). J'étais entré dans ce café à mon premier rendez-vous rue Bernard Palissy, et quatorze ans plus tard j'en respectais le rituel. Là, j'étais dans le bureau de mon éditeur actuel, c'est un endroit vaste où je me sens bien, où je me sens accueilli et respecté, même lorsqu'il ne s'agit que d'un quart d'heure on sait de lui à moi mesurer l'essentiel et savoir les inflexions. J'ai même une sensation de plénitude, tout va bien, personne ne m'impatiente ni ne m'agresse, au contraire : on parle du prochain livre, et pourtant moi je ne dis rien. Depuis dix minutes, je n'ai rien dit. Je sais que, là, il s'étonne. L'air confiant que j'affiche sur mon visage (d'ailleurs, je dois être en tiers dans la pièce puisque je me vois moi-même, ou bien : l'étrangeté du rêve serait que je perçois la scène depuis sa position à lui, dans sa vision et son corps à lui, l'éditeur). Il faudrait maintenant que je parte. Je sais parfaitement ses journées serrées de directeur d'une grande maison d'édition, le temps habituellement alloué pour nos rendez-vous réguliers est de longtemps passé. Surtout que je n'ai rien à dire, surtout que je ne dis rien. Je suis debout devant la fenêtre, en silence, et lui il attend patiemment, rien de réprobateur. Mais quand même. Au fond de moi je le sais bien : depuis que j'ai commencé ces textes brefs, que je mène sans rien décider à l'avance, sans projet de suite, plutôt pour en être bousculé, appelé à des zones où je ne suis pas allé, je n'ai rien avancé du livre qui motive ma présence ici. Et quant à ce projet, la multiplication de textes récurrents sur une suite minimum de thèmes obsessifs, qui lirait ça d'un seul morceau dans un livre ? Ca n'a aucun intérêt pour lui, ni ce qui concerne l'édition. Il semble heureux de ce que j'aie ainsi l'air satisfait de moi et de ce que j'écris : seulement, je sens bien, il est largement temps de partir, et je ne le fais pas. Je le regarde avec un bon sourire, voilà.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 14 septembre 2005
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