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ou un autreTumulte au hasard  : on ne ferme pas, on mute

C'est typique. Tout s'annonçait bien, le TGV n'avait même pas dix minutes de retard en arrivant à Montparnasse, ma réunion au Conservatoire de théâtre était à dix heures, je suis descendu au métro Opéra et il restait cent cinquante mètres à pied. Je n'ai pas aimé cette rue de La Michodière (avec un L majuscule si vous cherchez dans le plan). Il y a ce théâtre dont je ne pense pas qu'il soit vraiment intéressant par ce qu'il présente, mais une actrice qui compte, Aude B., y était l'an passé employée à l'accueil, je l'avais appris avec rage : il n'y a aucune raison professionnelle pour qu'Aude soit réduite à ce genre d'emploi de secours. Mais avant dix heures, un théâtre ne montre que des grilles. Au numéro indiqué, l'agence de voyage ne portait pas le nom de celle que je cherchais, j'ai poussé deux numéros plus loin, c'était encore une agence de voyage, je suis entré mais ils m'ont renvoyé à la précédente. Là, une dame à qui apparemment on ne demandait pas ça pour la première fois m'a dit que celle que je cherchais était au second étage. Je monte, un bouton indique « sonner puis pousser la porte », je sonne et je pousse mais la porte ne s'ouvre pas, je tente une seconde fois, on vient enfin m'ouvrir, d'un air un peu excédé. Quand je reviendrai, cette fois ils n'auront pas oublié de déverrouiller. On me fait asseoir, on me demande « la date ». Je réponds que je vais à Naples, que je m'appelle Bon. « Oui mais la date. » Je donne la date, mais je dis mardi 26 (mardi sera le 27), voix nettement réprobative : « Vous avez un calendrier devant vous. » Bon, évidemment, si je ne sais pas déchiffrer même un calendrier que j'ai sous le nez.. Et puis : « Quatre-vingt-dix euros pour les taxes d'aéroport. » On doit me les rembourser, j'acquiesce, sors ma carte de crédit. « Chèque ou liquide. » Et pas s'il vous plaît ni excusez-nous. Je n'ai pas de chèque ni assez de liquide, j'ai dit que je repasserai. « Tout de suite ? » Non, j'avais réunion au Conservatoire de théâtre, tout près, cinq cent mètres plus loin, j'ai dit que j'allais à ma réunion et reviendrais ensuite. On ne m'a pas dit au revoir. J'ai basculé dans le monde noir. C'était un pressentiment : ne pas aller à Naples. Envoyer un mail, annuler. Tant pis pour le stage. Tant pis pour les voix italiennes que j'allais mettre deux jours en travail. Je me disais en moi : « Je sens la mort. » En tout cas j'avais cette phrase, elle se disait en moi, audiblement. Je n'aime pas sentir la mort annoncée. Je me suis dit : au lieu de ce voyage, tant mieux, je reste enfermé trois jours entre ma table, la guitare et mon violon, plus l'ordinateur qui lui n'est jamais malpoli et je travaille jour et nuit. Personne ne m'attend, l'agenda est libre puisque réservé pour Naples, je m'enfonce dans Led Zeppelin, ou dans les textes de ce Tumulte. Je disais à Danielle Rousselier, de l'Institut Français de Naples : « À Meridiana, votre agence de voyage, on m'a mal reçu et je ne l'ai pas supporté, j'ai basculé dans le monde noir. Je ne supporte pas ces vexations. » Ce n'est pas de l'arrogance. C'est que soudain, oui, tout bascule. C'est toute la confiance qui d'un coup s'effondre comme une plaque de sable et on ne respire plus. Mon mail était rédigé (pendant cette réunion au Conservatoire, j'avais déplié mon ordinateur, j'avais rédigé le mail pour me décommander). Je ne devais pas prendre cet avion. Je ne devais pas plier et revenir voir cette dame de l'agence Meridiana qui se comporte de façon si malpolie. Je suis arrivé au Conservatoire, à mon tour j'étais malpoli avec les étudiants qui me disaient que la réunion des profs était tout en haut, salle Casarès. Je suis un peu en retard, Claude Stratz m'accueille d'un mot gentil et moi je fais exprès ma tête en rogne. Je parviens à entrer dans les échanges, je dois faire connaissance avec l'établissement, l'équipe. On me donne la liste des seconde année, que j'aurai en avril mai, et je repense à Aude B. fêtant ses quarante ans dans cette triste Michodière : on les forme donc pour cela ? J'ai mon ordinateur devant moi : je teste s'il y a un réseau Wifi. S'il y en avait eu un, mon mail serait parti. A la fin, on parle encore quelques minutes avec Daniel Mesguich de ce que je vais y faire, au Conservatoire, on m'accueille ici en amitié, je vais mieux. Peut-être Mesguich, grand intuitif, et on se connaît de longue date, a-t-il compris pour ainsi s'attarder avec moi : ici au Conservatoire ils n'arrêtent pas de se toucher, se masser, s'exercer corps avec corps, ils ont une grande finesse pour accepter l'autre. En sortant je passe au distributeur et retire cent euros, fais le chemin inverse pour la rue de La Michodière, grimpe au second étage. On me dit de patienter : « Veuillez patienter », en m'indiquant le vestibule de la main, il y a pourtant deux dames et un seul client. Quand le client part je rentre, on fait un peu semblant que je ne suis pas là mais on m'indique une chaise. « Rappelez-moi votre date... » La dame de souvient pourtant qu'il s'agissait de Naples. « Quatre-vingt-treize euros et quinze centimes. » J'ai les quinze centimes et même, ayant tout à l'heure acheté un carnet de ticket de métro, les trois euros et quinze centimes. Je les garde dans ma poche, et pose les cinq billets de vingt euros. Elle hésite : elle va me demander si j'ai de la petite monnaie ? Je la regarde comme mon vieux bonhomme, autrefois, en Vendée, m'avait appris à faire : on regarde un seul œil, et on accommode le regard à dix centimètres en arrière de l'œil. Peu de gens supportent. Elle est partie dans la pièce à côté chercher de la monnaie. « En grande silence », aurait dit Rabelais. J'ai les billets, Roissy terminal 3, j'irai à Naples. Je n'ai plus peur, et j'y repense encore passant face au passage Verdeau où mourut Lautréamont. Pourquoi, mais pourquoi de telles réactions, aussi excessives : un tout petit caillou sur ma route et tout entier je trébuche. Il n'y a plus de route, je me serais engouffré pour Montparnasse et retour. Ça m'est arrivé plusieurs fois dans ma vie, ce matin ça a vraiment failli. Qu'est-ce que cela veut dire de moi, que je ne connais pas ? Et si cela s'aggrave à ce point, ce sera de quelles conséquence ? Pourquoi je ne me maîtrisais pas au point d'entrer dans cette salle de réunion du conservatoire en faisant ostensiblement la gueule à tous ces gens qui n'avaient pour moi que du positif ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 septembre 2005
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