nouvelle bifurcation possible
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ou un autreTumulte au hasard  : murs de papier

Ils se plaignent que les chemins ne sont pas droits, qu'ils sont courbes. Ils se plaignent qu'aux bifurcations rien ne soit indiqué. On n'est plus sur la route qu'on souhaite, mais on ne s'en est pas aperçu et rien ne vous a mis en garde, et trop tard pour revenir en arrière : d'ailleurs, le pourrait-on ? Ils se plaignent, mais c'est qu'ils vont trop vite. Ceux qui vont lentement, suffisamment lentement, ils ne prennent pas l'orientation de travers. Ceux qui voient loin forcément se trompent de direction : puisque les routes sont courbes. Ceux qui ne regardent que juste là, devant soi, à peine s'apercevront-ils que la route est courbe. Moi je vous le dis, j'ai connu des pays aux routes droites, avec des carrefours aux routes perpendiculaires : c'est une folie. Tout monotone. Vous allez droit, vous tournez, vous repartez droit, vous tournez : et vous préférez ça aux chemins courbes ? On connaît ceux, aussi, qui restent au même endroit. Ces gens des carrefours. Ou bien là, sur le chemin courbe. Ils attendent. Il y aurait un mur et une maison, ils s'appuieraient au mur, auraient sorti une chaise devant la maison. Ils ignorent la fatigue, puisqu'ils restent sur place. Moi c'est de rester là et d'attendre, je crois, qui me fatiguerait. Paysage : toujours le même. Occupation : toujours la même. Saluer ceux qui passent, se plaindre avec eux que les routes sont courbes, et que là-bas, où il y a les rues droites et les carrefours, ce n'est guère mieux pour l'envie et la variété. Juste on nous dit : éviter les passes à découvert. Ça peut être dangereux, les passes à découvert. Ils canardent. C'est un fait, ils canardent, beaucoup disparaissent. De toute façon sinon ce ne serait plus vivable. Alors pourquoi nous on préfère les chemins courbes ? On se méfie, dans ces zones aux rues droites, aux carrefours fixes. Certains évidemment s'en contentent. On les paye pour cela. Ils nous disent même parfois au revoir avec envie. Dans les chemins courbes aussi, on en croise qui ne vont pas plus loin. On dit que ceux qui trouvent en acquièrent aussitôt la certitude : c'est un paysage, c'est du calme, c'est le goût de ne plus être seul. Moi je pense : la fatigue. Ils sont fatigués, ils se sont arrêtés : ils n'aiment pas trop cet endroit où ils sont, ils trouvent ça trop pauvre, ou sans événement, et bien sûr toujours le risque. Les autres, là-bas, qui canardent.
On dit que parfois ils font simplement signe, prennent un jeune avec eux, pour les remplacer, ou les aider, ou pour quoi : pour jouer, simplement pour jouer. On me le proposerait, à moi, je dirais quoi ? Je ne me vois pas, dans l'autre camp. Et de toute façon non, on ne me l'a pas proposé. Seulement, maintenant, j'aimerais m'arrêter, voilà. J'y pense ici, tout de suite, pour cette bifurcation-là : aller à droite pourquoi pas, aller à gauche pourquoi pas. J'ai pensé : l'un ou l'autre qu'importe. C'est la première fois, voyez-vous, que je pensais cela. {{{ }}}

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 6 octobre 2005
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