d’où vient la nuit dans les livres ?
du passage fond noir à fond blanc

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ou un autreTumulte au hasard  : dit-il

D'où vient la nuit dans les livres ? Il me semblait que pour écrire ici il me fallait du noir, et que chaque lettre tirait une sorte de trace fluorescente qui lentement faisait sens, là où sinon je suis à tâtons, je ne sais rien. J'aime les livres de nuit, les livres qui ouvrent la nuit ou bien ouvrent à la nuit. Ils sont rares. Dans ceux-là, il y a Baudelaire, n'importe quel vers, il y a forcément des romans, ceux qui collent : Lowry, Dostoievski, Faulkner, Thomas Bernhard. Shakespeare est une nuit complète. Mais peut-être c'est plus facile avec le théâtre, qui veut le noir autour et fabriquer ses lumières : ainsi Koltès. Pourtant je ne lis pas forcément la nuit. Encore moins ces temps-ci. Les grands livres sont ceux qu'on lit d'affilée, en ignorant les heures, en les continuant sur trente heures, j'ai lu des Dickens, des Balzac, et évidemment tous les Russes comme ça. La lecture diurne est une lumière sans source, très blanche. Beckett est dans cette lumière tout de suite séparée du temps. Dans Kafka aussi : clair obscur qui est comme nous les myopes, nyctalope. Ou bien parce que sachant depuis tout jeune qu'un jour on devra se débrouiller dans le noir, qu'on s'est entraîné depuis gosse à se débrouiller dans le noir. La lumière de Kafka ne dépend pas des heures. J'écris des mots en noir sur un fond blanc, une lampe éclaire vaguement le clavier de la machine, le reste du monde s'est élargi à la totalité du noir que nous sommes. J'aime les livres d'astronomie parce qu'ils travaillent l'idée de nuit. D'ailleurs l'idée de pourquoi la nuit est noire est de plusieurs siècles un paradoxe encore agissant, il a contribué même à la naissance du concept d'expansion d'univers. Les livres de nuit se moquent d'être écrits en noir sur le fond blanc des pages. Les mots s'impriment comme ils se disent, dans leur matité de consonnes et syllabes. Ce matin je ne reconnaissais plus mes textes, parce que soudain il me fallait éteindre tout autour, et qu'ils étaient sur cette page banalement d'un blanc cassé, avec la trame visible de l'écran de l'ordinateur, plutôt que d'être rayé au canif sur de la suie. Je ne sais ce que je perds. Cela me rapproche des livres de nuit. A quelle condition ou ouvre qu'un écrit qu'on développe appelle la nuit comme les grands invocateurs avant vous avaient appelé la nuit ? Comme tu me plairais, ô nuit! sans ces étoiles Font une nuit plus noire encore Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères Vaste comme la nuit et comme la clarté Le silence et la nuit s'installèrent en lui Ou bien toi, grande Nuit Et que tu me parais, ornement de mes nuits Bizarre déité, brune comme les nuits Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore Et console comme la Nuit Que ce soit dans la nuit et dans la solitude Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Et la solennité de la nuit, comme un fleuve Avec les ombres de la nuit Que la nuit me voile II est amer et doux, pendant les nuits d'hiver Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits II nous verse un jour noir plus triste que les nuits

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 24 octobre 2005
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