souvenirs de l’affaire Botton Noir
ou de quoi je me mêle

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ou un autreTumulte au hasard  : totalité

C'est cette [amie->236] qui danse, on se téléphone régulièrement pour un travail qu'on débute. Elle me disait des dates correspondant à ses anciens spectacles, et qu'elle avait cherché dans de vieux journaux à cette date : - C'était l'affaire Botton - Noir, tu te rappelles ? Je me rappelle même avoir vu ce Michel Noir, qui avait été maire de Lyon. J'étais venu faire une conférence à la Villa Gillet. Et comme par hasard, puisqu'il s'agissait de parler de ce qu'est pour moi la littérature, son énigme plutôt, j'avais décidé de me saisir d'une page de Samuel Beckett, et de la commenter, avec des boucles sur le monde, le réel, le récit, mais chaque boucle revenir à Beckett. Cette phrase, c'était : {La fable de toi fabulant d'un autre avec toi dans le noir. Et comme quoi mieux vaut tout compte fait peine perdue et toi tel que toujours. Seul.} Et Guy Walter de m'expliquer, après, que tout du long il s'était senti mal à l'aise, parce qu'il avait cru que je le faisais exprès, à cause de ce monsieur : mais moi je ne le connaissais pas, Michel Noir. En fait, ça m'aurait plutôt fait rire, l'affaire Botton Noir. Et aujourd'hui, d'autant plus. C'était curieux pour ce roman familial qui s'y entremêlait, les liens de fille et d'épouse entre les deux hommes, les séparant et tout cela exhibé sur la place publique. En gros, selon ce dont je me souviens : les pharmaciens souhaitant refaire leurs magasins en confiaient l'arrangement intérieur, le mobilier et la décoration à ce Botton, qui s'en était fait la spécialité. Mais ils avaient bien le droit, tous ces Homais de France : on ne pourrait établir une solide fortune bourgeoise, qui sans doute motive leurs études et leur station debout matin midi soir à leur guichet avec tiroir caisse, avec les antibiotiques et autres austères potions qui suffisent à l'hôpital. Non, le profit, c'est ce qu'on met devant. C'est ce que les gens attrapent sur les étagères qui leur sont accessibles, les boîtes qui brillent, les flacons de jamais assez, lotions, gélules, ampoules, et je ne sais : je n'ai jamais trop regardé, tout ça. Et donc Botton s'arrangeait pour vous mettre ça encore plus en valeur. On payait cher monsieur l'entrepreneur concepteur arrangeur, mais vous amortissiez en cinq mois. Bon, on a reproché quoi à ce monsieur Botton : il organisait des croisières pour les Homais. Moi, je m'y ennuierais. Je les trouverais bien tristes, les croisières entre potards de galeries commerciales, grand-place du chef-lieu de canton et rues piétonnes des sous-préfectures. Ça parle de quoi, entre soi, des pharmaciens ? On les promenait au soleil, bien nourris, bien distraits. Ça devait être triste, oui, à mourir. D'ailleurs, peu probable que M. Botton s'y montre, sinon le premier soir. Et alors, que les potards reconnaissants ({bien recoignoissants le bien qu'il leur faisoit}, dirait mon bon Rabelais), traitent au plus vite réfection de leur boutique, où, la concussion, où, la triche ? C'est le jeu du commerce, le vieux jeu de la séduction sur trottoir. S'il y avait de quoi se mettre en colère, c'est après les marchands de pommades. S'il y avait de quoi réagir, c'est après tous ces braves gens qui, à leurs médicaments, rajoutent la crème miracle ou le lait hydratant. D'ailleurs, sont nées peu après les parapharmacies qui leur ont taillé de beaux costards, aux Homais. Elle s'est prolétarisée (enfin, affaire d'échelle), la profession de potard en province. Moi j'ai connu André Guibert pharmacien à [Mirambeau->137], ou la pharmacie [Didion->http://pdidion.free.fr/] là-haut dans les Vosges, ce n'est pas des gens à partir en croisière restau piscine bedaine frais payés par Botton. On a déployé sur la table publique, au tribunal, ce qu'il en faisait, avec largesse, de son argent, le Botton. Il aimait la fête. Là encore, c'est son affaire, et ses goûts. Moi, ces histoires de Saint-Tropez (hors chez Quintane) ça me laisse plutôt indifférent. Il invitait les zigotos qu'on voit à la télé : moi ceux-là je ne les reconnaîtrais même pas dans la rue, ne regardant pas la télé. Je ne sais plus tous les détails exhibés de la fête chez les Botton, avec les vedettes, les yachts et les piscines. On offrait à ces gens des petits cadeaux. Honte aux hommes politiques qui venaient là et repartaient avec ces petits cadeaux : là, sans doute, il fallait faire le ménage. Mais on peut encore dire ça de ceux d'aujourd'hui, pas de pouvoir sans ce clientélisme, ce lobbying, sur le dos des Homais vendeurs de pommades surtaxées. Il a été condamné, Botton dont je ne sais plus le prénom, et son beau-père avec lui, le monsieur là-bas qui stoïquement m'écoutait revenir au statut du mot {noir} dans cette curieuse prose de Samuel Beckett : {La fable de toi fabulant d'un autre avec toi dans le noir. Et comme quoi mieux vaut tout compte fait peine perdue et toi tel que toujours. Seul.} Aujourd'hui c'est oublié. Les pharmacies sont toujours aussi brillantes, et luxueusement organisées pour vendre leurs crèmes et leurs laits et pastilles à double bénéfice, hors ordonnances. Ceux qui leur offrent des croisières doivent s'y prendre plus discrètement, moins exhiber leur luxe, et se garder de fréquenter les potentats du petit personnel politique. Vive les Homais : grâce à eux on lira toujours le grand Gustave à moustaches. J'ai dit à l'amie danseuse que je me souvenais bien de l'affaire Botton Noir. C'est devenu une sorte de nom commun, un mot de trois syllabes qu'on prononce d'un coup dans la bouche. Je leur serai presque reconnaissant de m'avoir éclairé sur la circulation d'argent dans le petit commerce de la pharmacie. Ils avaient bien droit à leurs fêtes de Saint-Tropez, si c'était là leur idée du bonheur.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 26 novembre 2005
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