pas encore une menace mais
on ne nous dit pas la vérité sur certains faits de la ville


Si je n'habitais pas cette ville, je n'en aurais jamais rien su. Les journaux n'en ont pas parlé : qui leur en a intimé l'ordre ? J'étais encore passé là au matin, il n'y avait rien. Les témoins directs, puisqu'au moins, dans le quartier, il n'a pas été possible de tout dissimuler, ont dit que cela s'était fait brusquement, ainsi, à la nuit tombée. On a souvent parlé, et dans la science-fiction aussi, de ces objets volants non identifiés, qui descendaient à intervalles réguliers du ciel, enfin il y a trente ans. L'objet avait surgi de la terre. Pourtant, chez nous, pas de mines ni de galeries. Ici, c'est rien que le fleuve. Et c'était bien une vis de foreuse. Les camions militaires sont venus : au matin, ils avaient tout démonté, et même ces barrières rouges et blanches par lesquelles ils avaient tenté de nous séparer de l'objet. On a dit plus tard, à la boulangerie où forcément cela trouvait écho : du quartier, nous avions été nombreux à la voir, que les premiers experts convoqués avaient parlé d'un métal inconnu, et très lourd. Ils l'avaient scié à la base avec une fraise en diamant : les chalumeaux et le feu n'y pouvaient rien. Nous, ce qui nous a surpris, ce n'est pas tant l'objet, et qu'il surgisse ainsi - de quel sous-sol -, c'est la précipitation avec laquelle des camions de l'armée sont venus, et qu'ils étaient déjà tout équipés pour le démontage, l'enlèvement. La seule trace concrète aujourd'hui, et je l'ai photographiée aussi, c'est cette épaisse dalle de béton qu'ils ont scellé là où auparavant passait la piste cyclable. Il y aurait donc l'assurance, c'est cela le bruit qui court de plus en plus, que de tels phénomènes s'étaient multipliés ces derniers temps. Les pointes de métal transperçaient brusquement le sol et s'élevaient à douze mètres, à l'aveugle : cela s'était produit parfois dans des maisons. D'autres fois à l'écart, en pleine campagne. Mais on disait aussi que les pointes recherchaient la ville. Que là, en dessous, d'où ils foraient vers ce dehors où nous sommes, ils avaient moyen de détecter : quoi, des vibrations, une pesanteur sur le vieux sol ? Si on arrêtait quelques jours toute activité, même rouler, ils ne sauraient plus où nous sommes, et lanceraient leurs pointes au hasard ? Mon voisin aussi, Jacques L., l'a photographiée. Nous avons comparé nos clichés. Moi c'était juste avec mon téléphone portable, lui il avait un vrai appareil photo numérique : le lendemain, donc hier, deux hommes en civil sont venus frapper chez lui. Ils ont été polis et respectueux, m'a dit Jacques L., ont juste demandé, mais il n'y avait pas à discuter ou tenter de tricher, que ce serait mieux qu'ils en détruisent ensemble les traces, et ils ont vérifié brièvement son ordinateur. En publiant ici le cliché je leur évite de venir. Qu'on prétende si on veut qu'il s'agit d'un montage, d'une triche : bien sûr que non. Bien d'autres l'ont vu comme moi : j'ai des dates, j'ai des noms. Et qu'on examine la photographie : je ne saurais pas bricoler suffisamment. Tout ce que je sais, moi, c'est sortir mon appareil et déclencher. Mais si le phénomène s'accentue ? Et eux, là-bas, dessous, ils veulent quoi ? De quelle profondeur lancent-ils ces harpons qui surgissent ? Un peu plus loin, au carrefour, la maison détruite est sanglée de bâches, ceinte de barrières. Et pourquoi les journaux n'en ont pas parlé, que craignent-ils, qui craignent-ils et pourquoi ?

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 7 décembre 2005
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