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l'art d'avancer casqué

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ou un autreTumulte au hasard  : onction

On parlait beaucoup. Mais on parlait dans l'espace même concédé à la parole : quiconque le voulait insérait sa phrase, son avis, son opinion, son texte. Mais c'était sans visage. Pas sans voix : il y a des voix écrites. L'étonnant c'était cette façon d'avancer par initiales, par prénoms, par pseudos parfois agrémentés de numéros. C'est là que je ne m'y retrouvais pas. Autrefois, le premier geste en prenant une enveloppe timbrée, reçue par la poste, c'était d'en examiner la suscription : envoyée par qui, connu ou inconnu, envoyée d'où, et quel jour à quelle heure. Le nom avait cette fonction, qu'il vous situait un amont, et une topologie. Alors, à force d'initiales, de pseudos (c'était l'abréviation en usage, comme si en reconnaître le fait établi valait pour reconnaissance), d'initiales ou même l'adresse d'un site Internet, oui une distance: il suffisait d'un rien pour vous en détacher, en fait. On souhaitait un dialogue, des mains serrées, et quand bien même on s'engueule. Y avoir pensé brusquement devant ce lycée: quand on roule en voiture, on les voit, les casques. On y prête évidemment attention, ils roulent comme des fous, doublent la voiture qui s'est arrêtée pour vous laisser tournée à gauche. On se doute de qui ils recouvrent, et que ce sont des êtres d'amour, de question, de révolte, qu'il y a un visage et un chemin qui à cet âge sans doute ne s'est pas trouvé encore. Mais les casques, sur les étagères, en étaient dépossédés: des coques de plastique, décorées, vides, marchandes. Je n'utilise pas de pseudo.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 18 décembre 2005
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