rue piétonne, temps de fête
de l'inquiétude, suite
Tu marches d'un pas pressé, tu ne regardes rien ni d'un côté ni de l'autre, tu ne les croises même pas, les regards. Tu es inquiet ?
-- On va droit. On continue. Il ne faudrait pas de choc, de cahot.
Tu attends, là, sans rien dire, en pleine rue. Tu es inquiet ?
-- Qui vous aiderait, il faudrait un virage, une bifurcation.
Je t'ai vue, tu fouillais méticuleusement un sac, et puis tu as regardé de tous les côté. Inquiète ?
-- J'avais perdu mes clés. Puis non, retrouvées.
C'était le soir, on aurait dit que tu surgissais à l'instant, et l'inquiétude des autres, loin de la tienne propre ?
-- Je reste enfermé. Je lis, j'écris. J'ai du travail. Puis il faut bien respirer. J'avais de toute façon à faire.
Vous alliez vous trois, j'ai remarqué vos vêtements, ils s'accordaient. Cette façon de voir si on est regardé : inquiets ?
-- Avec les copains, on pense moins. On parle. C'est vide, sinon. Rien que du vide.
Les haut-parleurs diffusaient de la musique, on entendait vaguement ce brouhaha de voix, de bruits, de voitures. Le bruit de la ville est indistinct. Mais fixer une seule personne, non : ce silence. Vous, inquiet ?
-- Vous me regardez, vous me posez une question, on ne se connaît pas, voilà.
Ils étaient deux, et chargés de sacs. Pour se protéger?
-- C'est des bricoles. Offrir, on vous offrira. Juste: c'est un peu la même chose, ici, qu'on vend, et à tout le monde.
Je marchais, les croisais, parfois un coude effleuré, on adapte sa vitesse à celle des autres. Rue commerçante, et l'homme de sécurité à l'entrée, ce qu'il voit : l'inquiétude loin ?
-- Je gagne ma vie, chacun gagne sa vie : les salaires ne sont pas gros. Le loyer, un crédit, les factures, alors on recommence. Pour les copains, lorsque ça s'arrête, qu'il y a un trou, c'est dur.
Elle passait, et juste un demi-sourire, presque déjà se comprendre, puis partie. L'inquiétude ce n'est pas pour tout le monde ?
-- Et si partager d'abord avec ceux qui la reconnaissent : alors, oui, nous aussi, se reconnaître, et tout de suite. Puis partir.
Et se retourner, une rue vide, la marche qu'il nous reste à faire. Les distances soudain si grandes. Juste une silhouette. Assise par terre et j'ai pensé : encore un qui demande de l'argent, encore un qui a froid ou faim, un de ces type avec un chien et non. Celui-ci regardait. Je n'ai rien demandé. C'est lui qui m'a apostrophé:
-- Qui nous aidera, au jour de la peur ?
Alors oui, images de tous les autres, qui revenaient. Et je n'ai pas répondu. J'aurais voulu répondre. Qu'est-ce que j'aurais répondu ?
LES MOTS-CLÉS :
François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 23 décembre 2005
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