les noms propres se brisent aussi
de voir et s'en saisir

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ou un autreTumulte au hasard  : se délivrer d’incertitude

Un sol très blanc et lisse, du marbre ou qui y ressemble. Un mur gris très clair lisse aussi, comme pour un musée d'art contemporain. Par terre, du sang : c'est vivant, ça bouge. Mais c'est dense, un peu translucide et plutôt beau en fait : brillant. Il y en a beaucoup, je pense à une blessure. Je regarde plus haut, et je vois ce qui s'est brisé : un nom propre. Il est encore là, en toutes lettres, mais moi je sais : dedans, vide. Un fruit éclaté, ce qu'il y avait au-dedans c'est ce sang que j'ai vu par terre. Ce qui rend fascinante pour moi l'image, c'est que le nom propre reste impalpable, un nom, on ne pourrait pas le prendre et le mettre dans sa poche, ou comme on emporterait une enseigne publicitaire en camion (ça, je l'ai vu, et ça me fait toujours étrange, un nom propre qu'on emporte en camion). Rien qu'une abstraction, dépouillée mais sauvage. Sur le marbre blanc ce sang rouge, translucide ou presque fluorescent, une gelée qui tremble et s'écoule, vivante.. L'image se rompt, très brève, trop brève. Mais je vois encore le nom propre, son armature vide, en cornières grises ou barrettes de verre, je n'ai pas assez vu, pas vu assez longtemps (même si je me souviens parfaitement du nom, et qu'il ne m'est pas du tout indifférent). Je n'avais pas fermé les yeux. J'étais en train, la ville approche. Devant moi mon livre ouvert, je l'avais oublié ({Notes pour un coquillage}, Francis Ponge). Le train ralentit, je m'efforce de lire, je revois nettement l'image pourtant si brève. Je prends le métro, je m'arrête dans ce bar à Malakoff, et sur la marge d'un magazine d'informatique je l'écris très vite.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 janvier 2006
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