prolifération de la méduse
de faits dûment constatés

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ou un autreTumulte au hasard  : indéchirable

Donc une fois de plus un article, on lit ça le soir. On lit forcément, parce que cela s'enracine dans des souvenirs d'enfance : elles sont belles, ces toutes petites méduses qu'on voyait arriver sur nos côtes entre deux eaux, aux jours chauds. Et l'étrange paquet mat et compact d'une ombrelle rejetée à la côte. Même maintenant, on voit s'approcher les enfants, la triturer à la pelle, la retourner ou la transpercer fièrement d'un bois, comme s'il y avait danger, que cela nous était trop inconnu. Par trop inconnu. L'article parlait des méduses du Japon. C'est au Japon que pour la première fois j'ai mangé de la méduse. C'était un restaurant coréen je crois, il y avait Patrick De Vos, j'ai remarqué comme ce plat particulier, plus relevé et plus consistant que la seiche, était bon et parfumé, on m'a dit : - C'est de la méduse. Dans l'inconnu de la méduse (si j'inventorie ce que j'ai dans la tête qui s'associe au mot), il y a qu'elles sont un des premiers organismes à être capable d'apprentissage et de mémoire : ces méduses identifient les couleurs, les associent à des déplacements, des profondeurs ou des températures, voire des dangers, et que les nouveaux neurones apparaissant chaque année bénéficiaient des acquis de leurs aînés, avec des répercussions d'importance quant aux recherches sur la plasticité du cerveau, le nôtre. Les travaux sur d'autres mollusques marins comme l'aplysie, cette bizarre limace à quatre tentacules, qui comporte vingt mille neurones, sont au centre actuellement des travaux de l'ensemble de la biologie du cerveau. Reprenons : des méduses de deux mètres de circonférence, atteignant possiblement deux cent kilos, et capables de laisser traîner des filaments jusqu'à trente-cinq mètres. Je ne relis pas, j'ai retenu. Et qu'on en voit de plus en plus. Les pêcheurs s'en plaignent : bien sûr les filets cassent. Bien sûr aussi, les poissons qu'elles ont touché sont contaminés et ne peuvent être vendus. D'ailleurs elles sont venimeuses, et le contact des filaments mortel pour l'homme. Ces méduses sont sexuées, et elles chassent. On explique cette prolifération : par l'accroissement du phytoplancton qui est la base alimentaire des petits animaux dont elles se nourrissent, puisqu'elles sont carnivores. Cet accroissement a lui-même deux causes : augmentation des rejets d'eau douce polluée dans les estuaires, disparition des petites espèces piscicoles carnivores aussi, due à la surpêche. Fin des maquereaux et harengs égale prolifération des méduses. Second facteur associé : élévation légère de la température de l'eau dû à réchauffement de la planète par cause humaine, moindres variations de cette température. Ainsi, en mer Morte et en mer Rouge, on constate même prolifération d'autres variétés de méduse, non pas la méduse géante qui envahit les zones de pêche du Japon, mais des autres variétés et notamment des plus petites, et que faute de cette régulation des températures (des centrales et des usines de dessalement installées systématiquement sur les côtes produisant ces zones d'échauffement régulier) leur reproduction n'est plus saisonnière mais continue. Enfin, l'homme a massivement éliminé - tortues, orques et quelques autres - les prédateurs naturels de la méduse, toutes variétés comprises. Encore je ne parle pas de l'inconnu complet ou presque, en tout cas non totalement répertoriées, que nous sont les variétés microscopiques de méduses. On en trouve jusqu'à trois mille mètres de profondeur (en eau tropicale). On nous signale que dès {Vingt mille lieues sous les mers} Jules Verne avait décrit ce phénomène ; les espèces les plus frustes sont appelées à proliférer, et il cite les méduses. Sur nos propres côtes, l'été, l'arrivée de bancs massifs peut faire qu'il n'est plus possible de se baigner. On peut prolonger l'article : à se multiplier de telles façons, et disposant non pas d'un cerveau (les neurones chez la méduse ont tendance à ne pas être dissociés comme chez d'autres mollusques) mais d'un ensemble à forte plasticité de neurones, la possibilité pour cet assemblage complexe de neurones de modifier considérablement l'animal lui-même (on connaît dès à présent des méduses dotées d'yeux, ou capables d'orienter leur navigation), cette prolifération de la méduse peut-elle entraîner l'apparition dans cette variété de premières formes d'organisation pré-sociales, de comportements de groupe, de stratégies de défense (se regrouper sur un territoire de pêche fait que l'homme abandonne ce territoire), et cette occupation d'un ensemble bien plus important que nos terres émergées, mieux protégé que nous d'ailleurs des radiations et autres catastrophes que nous-mêmes serions capables de déclencher, en fait dès à présent une catégorie animale capable de succéder à l'homme dans la domination de la planète, ou ce que nous en aurons laissé. Les simulations informatiques de ces phénomènes ne sont même pas inquiétantes : elles concluent toutes, quels qu'en soient les paramètres, à notre propre élimination à terme. Il semble cependant, et que la méduse géante s'installe dans de nouveaux territoires, ne soit plus une espèce rare, s'avère résistante et douée d'apprentissages neufs, que nous avons sous-estimé le départ irréversible de ce phénomène. Déjà, au Japon, les pêcheurs renoncent. Déjà en mer Morte ou en mer Rouge, elles sont maîtres de l'essentiel. On constate l'apparition de plus en plus fréquente des bancs de variétés minuscules, mais dans une organisation bien plus serrée, sur nos propres côtes, même les plus anciennement froides. La méduse est un vieux mythe ; ce qui pourrait commencer, c'est que nous commencions nous-mêmes à devenir légende ou mythe dans la prolifération des méduses. L'eau transparente devient massivement leur gelée, généralisée.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 janvier 2006
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