nouveaux usages, perspectives, réticences
on inaugurait ce nouveau cercle

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ou un autreTumulte au hasard  : épuisement

Dans cette ville, on avait voulu innover : à anticiper les changements considérés comme inévitables, peut-être saurait-on s'en prémunir. Ou les détourner, ou les affaiblir. Chacun était ainsi doté de cette pastille qu'on avait demandé, dans un premier temps, d'arborer de façon visible. Le progrès des matériaux susceptibles de mémoire s'était accentué, et leur coût. On pouvait déjà insérer là des données comme la carte d'identité, la carte bancaire, les soins de santé, l'abonnement téléphonique (pour vous joindre, il suffisait d'une oreillette, le reste passait par cette pastille d'une conception aussi simple que très neuve), approchiez-vous d'un ordinateur, vous retrouviez accès à vos textes et serveurs, votre courrier, le lien à votre employeur. Pour ceux qui considéraient déjà ce qu'on appelait « le nouveau cercle » comme un progrès, facilitant au plus haut point la vie ordinaire, ses fonctions les plus stériles diminuées d'un seul coup, bien sûr on se dispensait de l'afficher de façon aussi indiscrète, susceptible d'éveiller de mauvais souvenirs, non pas chez les aînés ou d'éventuels témoins survivants, il n'y en avait plus maintenant, mais ce qu'on avait appris via d'anciens films, d'anciens livres. On la portait discrètement à la ceinture. On glosait sur des formes encore plus miniatures, qui pouvaient s'implanter sous la peau, en attendant de pouvoir requérir la matière humaine même comme mémoire : le tibia s'y prêtait bien, paraît-il, dans les recherches actuelles, on pouvait affecter centimètre par centimètre, de hauteur en hauteur, des affectations précises de stockage de données à la moelle osseuse, il suffisait d'un très mince fil antenne collé dans le pantalon ou à même la peau, ou dans une simple chaussette (la marque Damart en proposait déjà des modèles) pour envisager la transmission. Mais d'autres résistaient à l'idée, d'autres imaginaient encore que se séparer par la nuit de la pastille était une protection : nous étions quelques-uns pourtant à travailler à l'inscription directe - non pas du rêve - mais des pensées et notations de nuit, via une très agréable et minuscule tablette graphique posée sur votre table de chevet, qui s'utilisait dans le noir et pouvait aussi servir, avant de s'endormir, à la lecture de romans ou de poèmes. Mais la plupart des habitants exploraient la pastille dans ces usages où elle révolutionnait déjà le quotidien : alliez-vous faire vos courses le samedi, vous les voyiez essayant de nouveaux vêtements, les choisissant, et passant directement aux caisses, ralentissant ostensiblement pour le partage des données, comme on filtrait autrefois les abonnements autoroutiers, et voilà c'était payé.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 février 2006
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