surfaces avec supplément
nouveaux modèles urbains

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ou un autreTumulte au hasard  : cinéma

Dans cette ville, les galeries souterraines étaient si pratiques. On y trouvait des boutiques où se vendaient les journaux : ce qui se passait au-dessus, ce qui se passait de par le monde on pouvait se tenir au courant. D'ailleurs, on le faisait, même si souvent (la plupart des jours, en fait) on se contentait de regarder les gros titres sans rien acheter : ça n'allait pas tellement mieux, là-haut. On suivait comme ça, mais de loin, la propagation des guerres, des maladies, les faits divers qui en rajoutaient dans cet abaissement comme définitif de notre condition : qu'un le fasse, et tous salis. On entendait des musiques, aussi, dessous. Les haut-parleurs étaient disposés à intervalles réguliers. Selon les zones, on entendait les musiques qui vous convenaient à vous, personnellement ou presque, puisque on se doutait bien de qui vous étiez pour arpenter telle ou telle poche souterraine de la ville. On ne voyait pas les mêmes visages selon qu'il s'agissait d'étages ou de noeuds réservés à l'habillement mode, ou aux livres (ils étaient adorables, ces stands débordant d'anciens livres imprimés façon d'autrefois, dans la galerie des antiques). Ce qu'on n'avait pu encore complètement résoudre, c'étaient ces couloirs de transition entre une poche et une autre. Chaque bloc de bâtiment, délimité par les anciennes rues, surplombait cet ensemble de trois niveaux en général, qui selon le bloc s'était spécialisé dans tel ou tel commerce ou produit, voire parfois autour d'un musée : de ces galeries du livre, dont j'ai parlé plus haut, on descendait directement au musée de la typographie. Moi j'appréciais particulièrement, sous l'ancienne rue de Douai, celle réservée aux instruments de musique. Je ne les connaissais pas particulièrement, parce que trop fréquentées à mon goût, l'ensemble de cinq niveaux qui accueillait tout ce qui concernait les films et l'image, et l'ensemble symétrique consacré aux soins du corps, avec salles de gymnastiques sous vitrine, où vous pouviez contempler vos semblables suant et soufflant à d'incompréhensibles exercices. On aurait eu du mal, désormais, à trouver là-haut des courageux tentant de courir sur les trottoirs. On avait des îlots thématiques : les gares de Tokyo (où pourtant les galeries n'étaient pas souterraines, mais à l'étage), les galeries marchandes souterraines de Montréal, les échoppes orientales dans leur dédale serré avaient fourni autant de modèles pour des aménagements qui vous transportaient de monde. Des galeries on accédait directement aux blocs d'habitation. D'ailleurs, pour l'ordinaire, pas besoin de s'embarquer à de longues traversées : il suffisait de descendre. On avait restauré aussi, ici ou là, les anciens principes du Corbusier, et éliminé ces nouveaux riches qui s'appropriaient par des jardins privés les toits et terrasses : c'étaient des restaurants, vue sur ciel et non sur ville, des piscines et jardins minéraux. On n'aurait jamais pensé qu'en moins de vingt ans toutes nos villes auraient su se remodeler selon ces principes et circulations : on avait conservé, ici ou là, d'anciens centres villes, qu'on visitait de façon touristique, qu'on montrait aux étrangers, parfois avec accès direct par les grands musées, quand à leur entrée souterraine vous choisissiez l'option ou le supplément « surface ».

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 28 février 2006
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