de la tentation Bognor Regis
je vous expliquerai un jour pourquoi Bognor Regis

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ou un autreTumulte au hasard  : description

Dans cette ville, là où les gens s'assemblaient ou passaient, on installait des musiciens, le plus souvent seuls d'ailleurs. On considérait que c'était une dette de la collectivité à leur égard : les sons circulaient librement, on les rétribuait à jouer. Tout le monde y avait gagné : on dansait, là où ils jouaient, on se transmettait les pratiques, les instruments. On réapprenait, et tout cela prenait visage : fini, le temps de l'industrie et du commerce matraquant la même nourriture insane et standardisée, et les lois momifiées avant de naître qui voulaient en réglementer l'usage. Sous la fadeur, les visages trop lisses, les rythmes tellement prévisibles, les disques, puis enfin les émissions de télévision et autres artefacts s'étaient effondrés : mais qui, pour s'en plaindre ? Les Rolling Stones jouaient pour l'honneur à Bognor Regis. Quand un musicien s'installe en pleine rue, ou là dans une galerie commerçante, un musée, une bibliothèque (on avait conservé les bibliothèques et les musées), un lieu de passage et capte l'attention du monde avec ses bras et sa sueur, quand les fêtes renouvelées qui les voyaient s'affronter, chacun accompagné de ses élèves, de gamins de sa ville ou son quartier, c'est la place tout entière de la musique qui s'en trouvait rafraîchie. On poussait à ce que la littérature prenne le même chemin. On affirmait que ce qu'elle recelait de vivant devait se dire à voix haute, se porter de mémoire. Les derniers éditeurs à prolonger artificiellement la production de ces romans calibrés de deux cents pages avec personnages comme dans la vraie vie avaient cédé aux banquiers qui se les étaient offerts, l'un après l'autre, comme ils mettaient dans leur coffre une toile de maître. On commençait à voir dans les rues des écrivains connus, parfois avec ces mêmes musiciens, récitant du Baudelaire ou disant une page de Kafka ou Proust : déjà les meilleurs, prétendait-on, y voyaient une nouvelle issue pour écrire et vivre. On militait, même si cela semblait prêcher dans le désert et soulever des hostilités manifestes, pour leur ouvrir à nouveau les portes des écoles, des universités scientifiques, et pourquoi pas un jour les cantines d'entreprise ? Moi je me le disais, chaque fois qu'on m'invitait à lire, qu'une fois de plus je chargeais la valise, me dirigeais vers la gare : Bognor Regis, Bognor Regis !
photo d'en haut : Cyril Atef et Vincent Ségal (en laissant la souris sur l'image, comme d'habitude), [bumcello->http://www.bumcello.com], Tours, Bateau Ivre, le 28 février 2006 - et lire : [phrase pour Vincent S.->178]

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 1er mars 2006
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