pourquoi Gourdiau
chez les morts _ 02 [version 3]

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ou un autreTumulte au hasard  : tumulte public

[version 2]
Mais pourquoi Gourdiau, ce nom Gourdiau : je ne connais pas de Gourdiau. Dans cette période-là je pratiquais ces exercices sur le rêve : je rêve, je sais que je rêve alors j'arrête le rêve. Ce n'est pas un exercice compliqué, il y d'autres exercices plus compliqués, j'en parlerai. Donc je fixe l'image puis tourne la tête à gauche, et l'autre image est là, dans le rêve on se concentre sur ce qu'on voit quand on regarde à gauche, sans rien changer au rêve (le rêve regarde toujours devant lui, si on laisse faire, mais apprendre à se tourner dans le rêve est un exercice de base). Alors lentement tourner le corps, puis avancer vers la gauche, rejoindre la paroi du rêve. C'est une phase un peu plus exigeante de l'exercice, ne pas simplement regarder mais quitter le premier rêve pour s'en aller dans le paysage découvert sur gauche : mais quand on le maîtrise c'est à nouveau riche d'autre découverte, on peut aller jusqu'au sentiment que le rêve initial continue sans vous, tandis que vous explorez ce nouveau paysage, ce nouveau labyrinthe, là il s'agissait d'un terre-plein nu, un paysage arrondi sans horizon. Souvent, dans cet exercice, le rêve se défend par un sas, une pièce vide (il y a aura souvent des pièces vides dans ces texes), une nouvelle porte, ou bien directement une fenête, ouvrant en général sur un paysage très calme, géométrique et tranquille, comme pour vous prouver que tout cela était inutile : pourtant, reste à collationner ces paysages). J'ai pratiqué des exercices plus complexes, par exemple, celui si connu de voir ses mains dans son rêve (utilisation de la vision rétinienne périphérique). Mais ce soir-là à nouveau le rêve de soi en mort, ou de sa propre mort touchée et vue. Et pourquoi là, dans ce paysage sans horizon et ouvert, un sol gris mal délimité, je savais soudain que j'allais forcément vers ma mort. Et pourquoi Gourdiau (non, jamais je n'ai connu de Gourdiau). Le nom Gourdiau fut celui de la rencontre en rêve de ma propre mort et j'ai eu peur, vraiment peur : quand j'essaye de convoquer les rêves qui m'ont fait le plus terriblement peur, c'est celui-ci, pourtant ordinaire, pourtant banal, et souvent déjà j'étais entré dans le côté gauche de mon rêve il n'y avait pas eu moi en mort. Réveil en sursaut, assis dans le lit tremblant et l'impossibilité de s'abandonner à nouveau au sommeil (la chambre alors même semblant craquer, se déformer, je revois cette petite chambre au coin exact d'une rue et d'une autre avec le bruit la nuit des autobus électriques et cette enseigne plus loin, clignotante, une chambre de ville). On croise forcément ses morts en rêve : vos morts viennent et vous parlent et tout est normal presque dans l'accueil qu'on leur fait, et souvent même dans une étrange sérénité - le mort c'est l'autre et toi tu l'accueilles parce qu'il est de tes morts -, mais là Gourdiau me disait ma propre mort : c'était simple, c'était évident. Rien qu'un message parfaitement informatif. Quelqu'un de très banal en somme, comme un plombier qu'on a appelé pour une réparation (mais je ne l'avais pas appelé), ou comme le type qui passe pour le relevé des compteurs. Juste étrange à cause de cette familiarité, de ce lien, et pourtant en aucun cas je n'aurais su l'identifier à quiconque de connaissance ou de mon entourage, personne. Et Gourdiau me disait seulement, ni masque de squelette ni capuche en bure ni aucun appareil, un type habillé comme vous et moi, je dirais même plutôt genre complet veston, un visage un peu gris (à me souvenir du rêve, s'il y a un indice : des yeux ternes, sans brillance, et pas de dents : ce type avait-il ses dents ou pas de dents peu importe, mais je n'imagine pas, s'il a ouvert la bouche ou parlé ou souri ou rien, que j'aie pu voir des dents) : -- Je suis ta mort et je viens te voir, une autre fois je viendrai et te prendrai. Et moi je claquai des dents et transpirai parce que ce rêve était vrai : quand reviendra Gourdiau, et ça se passera comment. Le rêve de soi marchant dans ce paysage gris (une route de sortie de village) et criant mais sans voix ce qu'on vient juste d'entendre : -- Gourdiau, Gourdiau !

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 juin 2005
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