un bon souvenir de cet été-là
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ou un autreTumulte au hasard  : énonce

Pour louer la chambre ça n'avait pas été trop difficile, c'est que j'en avais besoin pour l'été et qu'il n'y avait pas d'autre locataire. C'était au-dessus d'un marchand de vélo, au premier étage, et le marchand de vélo était le propriétaire. Ce n'était pas vraiment confortable (juste un évier, pas de douche, une table de bois à toile cirée et quatre chaises, un lit ancienne mode fatigué et une armoire, une fenêtre tout au bout côté rue). Mais c'était directement sur la rue, dans le quartier que je souhaitais. J'avais donc été là tout l'été, un petit boulot, et des examens à repréparer pour septembre. Ce n'était pas plus que ça pour le confort, mais il y avait le prix, l'emplacement, et qu'on m'acceptait sans caution. Je me souviens vaguement d'un gros type, qui vous regardait depuis par dessus ses lunettes, en silence, pour jauger. Il n'y avait pas de bail. On payait comme ça. On devait juste fournir une attestation d'assurance. Au reste il louait souvent à ceux de mon école, laquelle fournissait, avec le dortoir des internes, aux douches et suppléments d'hygiène. Donc, quand on entrait dans la chambre, on était devant la table de cuisine, à gauche la fenêtre et l'évier, en face une cheminée qui ne fonctionnait plus, à droite le renfoncement du lit et l'armoire, et voilà. Il m'avait entrouvert une autre porte à côté de la porte d'entrée, donc donnant sur le lit, montrant ou allumant une pièce sans fenêtre ni ouverture, et les chiottes c'était cette cabine au fond, je n'étais même pas allé voir. Ce qu'il y avait de curieux en fait, c'est, pour cette simple chambre avec évier, la présence, que je découvrais dès le premier soir, de deux autres portes. Une derrière la tête du lit, condamnée. Mais de l'autre côté, c'était une autre chambre, et elle était occupée chaque soir par des travailleurs portugais, au moins trois voix différentes. J'entendais tout (mais sans comprendre le portugais). Eux rentraient par cette pièce intermédiaire, ouvrant sur l'autre porte de ma chambre. J'y entrais : les chiottes c'était bien cette cabine sans ventilation, dans le coin gauche, mais en face, à droite, je découvre un bout d'escalier raide. Il rejoint l'escalier principal, celui par lequel, au premier étage, j'arrive à ma chambre, par une autre porte de bois pareil, à mi palier entre le premier et le deuxième. Cette porte restait forcément ouverte, pour que les Portugais puissent rentrer chez eux. Donc moi aussi, pour entrer dans ma chambre, je pouvais grimper au demi étage du dessus, redescendre par les chiottes, entrer côté lit où il n'y avait ni clé ni verrou. Quand j'ai eu montré cette curiosité à quelques connaissances de cet été-là, et que moi je revenais de ce boulot que j'avais trouvé pour la journée, j'en trouvais souvent d'installés, jouant de ma guitare, ou attablés autour de la toile cirée. C'est bien, il y avait du café prêt. Une autre fois, c'est des types qui se rendaient en Bretagne, et m'avaient pris en stop avec Caro quelque part vers Vierzon (il y avait ce festival folk à St-Florent sur Cher), on avait roulé dans la nuit, arrivés vers 4 heures du matin, les trois types étaient restés avec moi et Caro et on s'était tous endormis là comme ça. Finalement il était passé pas mal de monde, cet été-là, dans cette chambre. Quand la rentrée de septembre s'est approchée, le marchand de vélo est venu frapper : il trouvait qu'il y avait trop d'aller-venues, il préférait que je vire, il l'a dit mais pas avec ce mot-là. Il a aussi grommelé qu'il voulait faire des travaux avant l'hiver (j'ai demandé au type qui m'a succédé, il n'en a pas fait, de travaux). J'ai dit que je recevais bien moins de monde que les Portugais (combien étaient-ils, en fait, les Portugais), le marchand de vélo n'a même pas voulu répondre. « Il y a trop d'aller-venues. » Dans le quartier les chambres ne manquaient pas. J'avais peu d'affaires, et ma voiture pour faire sas (je me revois quelques jours y dormir, avec la guitare coincée derrière le siège et le reste des affaires dans le coffre). J'ai un bon souvenir de cet été-là. Cela tient certainement à cette curiosité, jamais retrouvée ailleurs, la double issue, par le palier du haut. Ne pas savoir, quand vous rentriez à la chambre, qui vous y trouveriez.
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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 11 mai 2005
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