de l’autofiction (un emboîtement)
de l'écriture


En m'interrogeant sur les textes écrits ici directement sur ce qu'on dit {la toile}, ces textes qui n'ont pas existence matérielle chez moi, ni même dans ma machine habituelle, je cherche dans mes archives, non pour y ajouter ou recycler, mais comme étonné, finalement, que depuis tant d'années cette pulsion, que je voudrais au bord du fantastique, s'inscrit en creux, dans les textes sans issue, les choses qu'on commence et qui ne trouvent pas leur élan : parce que je les concevais de grand format, alors que c'est réglé en quinze lignes parfois, et que l'assemblage seul donnerait sa dimension à la tentative ? Ainsi, j'avais souvenir d'avoir conservé le premier texte où je tentais de me mettre en scène moi-même dans un dispositif de fiction, pour en créer l'illusion. Je découvrais le théâtre de cette grande ville de l'Est, où pendant huit ans je me rendrai souvent, et surpris chaque fois, en arrivant par le train de découvrir qu'un parking souterrain était aménagé sous l'ancienne manufacture. Le seul élément de fiction était (comme ce mince escalier de ciment carrelé blanc qui mène du métro directement dans les galeries Lafayette à Paris), que du parking on ait pu accéder à l'intérieur du théâtre, lui-même labyrinthique et séparé du jour, avec ses loges, ses coulisses, ses ateliers et dépôts, plutôt que traverser la cour, une fois laissée sa voiture. J'avais donc supposé qu'avec la complicité de l'équipe du théâtre je m'organisais pour vivre quatre mois d'hiver sans sortir de ce parking sous la ville, communicant avec le dessous du théâtre, que j'y dormais dans une cahute aménagée, profitait des sanitaires des gardiens, et que je tentais dans ces quatre mois l'écriture d'un texte sur la ville qui aurait été évidemment teinté fortement par l'usage décalé du temps, par la séparation du jour, par le silence des souterrains. J'avais découpé plusieurs années dans les journaux (j'ai toujours, dans des cahiers), ces expériences parfois même plus longues où des spéléologues, dans la proofondeur d'un gouffre, vivent sans montre ni heure, étudiant leur métabolisme, l'évolution du sommeil. Moi, je rajoutais la ville, l'obsession de la ville, et comment sans doute s'en inscriraient mentalement des images différentes, par cette séparation forcée, là enfermé dans le labyrinthe monochrome, tandis que pourtant au-dessus de nous elle nous irriguait en permanence. J'avais souvenir de cinq ou six pages sur le thème, et dans les renfoncements du disque dur j'extrais le fichier, pas ouvert depuis lors, en fait c'est plus de vingt pages, et les mouchards du logiciel signalent trois ou cinq séances d'écriture dans une période d'un mois, j'en découvre même l'année, c'est-à-dire écrit il y a 9 ans exactement, quand cela me semblait presque d'hier (un texte inachevé vous colle): sans ce mouchard j'aurais été incapable de dater ainsi, à deux ans près, ce que moi-même j'avais commencé, puis abandonné. Je n'aime pas à décrier ce qu'on tente un moment, sous l'empire d'une nécessité même incomplète. Je me bats fortement contre ça, lorsque les participants à tel atelier d'écriture grimacent ou se dévaluent avant même lecture de leur texte. Peut-être simplement tout n'était-il pas suffisamment rassemblé, et qu'aujourd'hui je suis mieux préparé au coup de force ? Pourtant, à me forcer de relire ce texte, il y a cette inflexion vers le quinzième feuillet, lorsque le dispositif s'ouvre aux personnages du parking, ceux qui sont là parce que c'est leur routine et leur ordinaire. L'un d'eux, dans la fiction, a sur sa table une photo soi-disant sous verre. C'est une photo qu'à cette époque j'avais découpée dans un journal, et collée dans mes cahiers, je l'ai toujours. Le type, dans le monologue fictif que je lui installe, dit que cette photo était tombée d'une voiture, et qu'elle lui a rappelé Moricq, parce qu'il est de Moricq. Mais je ne parlerai pas de Moricq. J'en copie un extrait, parce que j''aime que les traces soient nettes après moi. J'ai beaucoup accumulé, je dois nettoyer. Je copie ici la quinzaine de lignes reprises des vingt-deux pages d'il y a neuf ans, et qui ont passé depuis lors de machine à machine dans mes archives électroniques. Cette histoire racontée, ces lignes sauvées, je peux effacer sans reste leur fichier d'origine. Il est bon de se forcer à ce qui bascule vers l'avant. [{Hiver parking}, titre provisoire, un extrait] Pourquoi je suis ici, et qu'est-ce que j'y fais. Ça me paraît donc, au bout de ces trois premières semaines, déjà de si peu d'évidence? Et qu'est-ce que j'en ramène ? Des listes : néons blancs, alignés. Poteaux, combien, quels, plinthes de protection au bas et les écaillures au niveau des pare-chocs, bande blanche avec catadioptre pour les repérages. Des inventaires. Selon couleur, par exemple. Jaune : caisse automatique jaune. Bleu : indications sorties voitures. Orange : indications sorties piétons. Vert : indications sorties de secours. Lumière sans couleur : là où les ampoules sont nues, parce que le plastique avec cette indication est tombé. Plafonniers transparents des escaliers de secours. Gris : nuances du gris. Sous les rampes, où les voitures tournent, salissures noires des pots d'échappement. Gris des piliers au ciment lisse, et gris des poutres sous plafond, décoffrées brut. Lisse, le sol est lisse : ce vernis à refaire chaque deux ans, qui empêche l'adhérence des pneus et produit ce crissement. Objets rouges : extincteurs, seaux, bandes rouges. Appliques lumineuses de sens interdit à l'entrée des travées, pour forcer la circulation en spirale. Comme ici en trois semaines la notion meêm de couleur a changé. Notion de noir : rien jamais parfaitement noir, il n'y a pas d'endroit dans le parking où on puisse aller au bout de l'ombre et qu'elle cesse (sauf à refermer ma porte et éteindre, ce que j'ai tant de mal à faire : parce que cela ne produit pas d'intérieur, mais dédouble l'intérieur déjà existant. On voudrait ne jamais dormir, on préférerait. C'est comme si cette lumière égale du guichet et des enfilades sous piliers perdurait malgré la porte close et le noir total, comme si j'aurais préféré, chaque fois, partir avec un duvet et dormir à même le sol, là-bas, au bout du sous-sol quatre, contre la cloison d'angle). Notion de blanc : chaux sur notre guérite, la signalant comme sas en dehors des zones de stationnement, bandes régulières au sol délimitant les emplacements, numérotation aux murs et aux piliers pour la localisation, une lettre par rangée et cinquante nombres dans chaque (se repérer dans un parking, autrefois peut-être posait problème et c'est comme se souvenir d'un numéro de téléphone : est-ce que quelqu'un se préoccupe encore du F 33 ou du A 22, du G 45? On se souvient de l'étage au nombre de rampes enfilées, et de la place, en gros, par rapport à l'ascenseur qui nous a fait sortir, on a appris le relief souterrain). Tous les jours, au début deux fois par jour, et maintenant une fois seulement, marcher selon cette spirale, faire le tour de chaque étage et descendre comme ça jusqu'au fond du quatre, puis remonter directement, mais par les rampes voiture, descendant par la rampe nord, remontant directement par la rampe sud, {nord} et {sud} étant les mots qu'ici dans la guérite on emploie, comme si les champs magnétiques étaient d'utilité dans cette domination neutre des choses. Jamais je ne me sers des trois escaliers raides, dans leurs cages étroites, enserrant l'ascenseur {quatre personnes trois cent cinquante kilogrammes}, pour ce sentiment qu'ils me sortent du grand cube où j'ai abri, dont je n'ai pas le droit de franchir la limite, alors qu'ici c'est déjà un autre air, plus froid et coupant, celui de la ville. Tout cela je l'ai noté, pauvres lignes sur de grandes pages blanches, récurrentes : le bourdonnement des néons, celui qui n'atteint pas sa tension d'amorçage et continue jour et nuit de battre dans une agonie arythmique qui durera plus que mes cinq mois ici. Telle perspective, troisième sous-sol, quand, très loin en face, par un caprice d'architecture que les autres niveaux n'ont pas autorisé, la rampe de montée à gauche et de descente à droite sont visuellement exactement symétriques, par leur ouverture rectangulaire basse. Symétrie renforcée par le décalage de cette bande blanche vieillie ou passée, ternie, qui fait à hauteur de ceinture le tour des étages, avec, chaque deux mètres, vissé au mur, un petit losange réfléchissant, comme ce mot {catadioptre} qu'on utilisait autrefois pour le même réflecteur à grain lisse, serti dans le zinc ou l'inox, à l'arrière de nos vélos de gosse. Et les deux panneaux bleu et rouge sempiternels, dont l'association est répétée à l'autre bout de l'étage, mais inverse, avec le panneau bleu pour la descente et le rouge sur la rampe montante, réservée à l'arrivée des véhicules depuis l'étage supérieur. {[fin de l'extrait, effacement du reste]}
marelle, {suite autobiographique}: [précédent->63] _ [suivant->71]

LES MOTS-CLÉS :

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 21 mai 2005
merci aux 469 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page