ce soir au bar de la gare
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ou un autreTumulte au hasard  : fatigue

C'était une période où quand même je buvais beaucoup. Je ne sais pas qui vraiment s'en apercevait. C'était moins un excès avec ses manifestations visibles qu'une sorte de rapport au temps, finalement, qui s'installe dans votre quotidien. On acceptait en général que cela commence dans l'après-midi, parfois dès le repas de midi, c'est tout simple au lieu de l'eau on commande une bière ou un peu de vin, c'est bon, ça ne fait pas de mal, les questions touchant au vin fournissent même en ce pays une partie de la conversation de ceux qui n'ont pas les livres, et ne s'abaissent pas au football ou au rugby du samedi, on s'y connaît en bouteilles et en domaines pourquoi pas, mais l'après-midi passe plus vite, on survole. Le soir on trouve ces niches, je parle toujours du temps. Une heure prise, ici, et puis voilà un verre et on remet ça bien sûr. Quelquefois c'était la soirée qui partait en dérive. Lorsqu'il s'agissait d'une journée normale ensuite, et de l'habitude solitaire que j'en ai, sans finalement personne qui connaisse la totalité de ce que je fais ici plus là plus là, ça devenait solitaire aussi. Parfois même debout là au comptoir dans la gare. Pourtant je suis aguerri. Ces périodes sont souvent revenues. Lorsqu'elles s'absentent trop, le retour est brutal et combien de fois, dans des villes qui ne sont pas la mienne, cela s'est traduit par ces marches à peu près droites mais qui n'en finissent pas de la nuit plutôt que le retour à l'hôtel, il sera toujours temps de dormir dans le train du retour. Et pourtant je hais ces types qui vous parlent à ce moment-là, ces conversations vides qu'on a, conversations sans reste, des grognements. J'ai des amis proches, très proches, qui ont été victimes de cela comme un engrenage lourd. Il y en a un qui est mort pendu et c'est pour ça, pour la tristesse que cela lui était. Il y a celui-ci, qui téléphonait dans le milieu de la nuit, pâteux, mais il s'est brouillé avec moi depuis lors. Il y a cet autre, et la façon dont ses doigts tremblent, et comment discrètement il le dissimule, et puis en fin d'après-midi un verre et un autre et voilà, ça ne tremble plus. Je ne suis pas comme ça. Je préfère l'esprit clair. D'ailleurs même avec pas mal de verres dans les boyaux hier soir je le disais encore : je me préfère l'esprit clair, et pourtant, là dans la déprime du matin, et cette impression pas très agréable de la bouche et du ventre, le poids supplémentaire qu'il vous semble avoir pris encore, on ne devait pas bien l'être, clair. - C'est {dégoûtant}, m'avait dit Untel, en parlant de cet autre copain, sa manière d'entre-deux, chaque soir, et comment ça l'avait séparé en fait du vrai travail, de l'aigu de soi-même. On a des résolutions. D'ailleurs aujourd'hui pas de rendez-vous avant telle heure ici ce soir, peut-être je résisterai, je boirai moins, je ne boirai pas. Je peux, puisque c'est des phases avec lesquelles je romps. Je parle au présent. J'avais commencé cette page au passé. ----
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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 27 mai 2005
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