liturgie
l'usage du mot : Giraudoux

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ou un autreTumulte au hasard  : un caractère froid

La littérature française en effet n'est pas une expression. Elle ne comporte aucun naturel, et le style français le plus naturel, mettons celui de Voltaire, est celui qui pousse notre esprit et notre langue à leur pire artifice, en leur refusant des excès, préciosité ou gongorisme, qui correspondent du moins à de vrais défauts ou qualités humaines. Alors que dans la plupart des autres civilisations tout ouvrier, tout paysan, tout forçat qui sait écrire, peut par cela même être écrivain, retrouve au-dessus de sa page sa tête d'épicier, de moissonneur ou de futur guillotiné, et que les diverses classes et corps de métier fournissent à la poésie comme à l'armée leur pourcentage, il n'est d'écrivains naturels, en France, que les ignorants et les irresponsables, c'est-à-dire les rois, les enfants et les fous. La littérature y est une liturgie, les écrivains y sont un séminaire, qui comporte une telle cohésion et une telle connivence que, de même qu'en Chine les prêtres ont le monopole des églises, la caste englobe dans son immunité et ses privilèges jusqu'aux auteurs des publications d'obscénité ou de chantage. Quelle que soit la vigueur de l'impulsion qui pousse un Français à écrire, elle aboutit, le premier mot tracé, non à une oeuvre d'écrivain, mais de lettré. De sorte que, depuis les troubadours jusqu'aux surréalistes, le répertoire de notre littérature est le plus complet concours général d'éloquence, de finesse et de logique qui se soit livré entre les hommes, et le plus palpitant, mais, comme les concours généraux et les exercices schloastiques, il semble que ce soit sur des sujets fixés à l'avance depuis des siècles, et retirés de l'humanité contemporaine.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 mai 2005
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