# rectoverso #01 Avenue


Sur le passage piéton une palette en bois, des caisses en plastique de différentes couleurs et marques. Une caisse jaune Leffe – deux caisse orange Lipton l’une sur l’autre – des caisses bleues de Spa plate en arrière-plan – une caisse bleu sombre de Duvel – une caisse vert kaki à la marque illisible. Un mini cargo échoué sur le passage piéton à la sortie du rond-point que scrute l’obélisque de métal où s’enroulent les tigres. A droite le camion de livraison toutes bâches dehors déverse ses caisses bigarrées. De l’autre côté du passage piéton vers la droite une station de villo qui attend un bipède en approche. L’absurdité de la chaleur écrasante alors qu’il n’est pas encore 10h. Toutes ces petites bouteilles qui vont s’écouler dans des gosiers désabusés assis sur des chaises en rotin vert de la brasserie Lalain qui fait le coin en se gaussant de l’inaction politique face au réchauffement climatique.

Grande avenue au milieu de laquelle serpente une bande végétale dont chaque berge est délimitée pas un liserait de béton haut comme une main. Chaque berge se prolonge dans un trottoir piqué de grands arbres dont les branches se touchent formant un fleuve de feuille pour les pigeons. Les troncs écaillés corpulents semblent à l’étroit enserrés dans leur carré de béton où l’herbe est déjà jaunie. Par endroit leurs racines s’en libèrent créant des chaines montagneuses et leurs failles de béton pour les fourmis. Vertige d’imaginer leur système racinaire s’étendre aussi profondément que s’élève leur cime au-delà des immeubles à quatre étages. Dialogue entre les racines du végétal où circulent sève et eau et celles de la ville ou s’écoulent excréments, eau de lavages diverses, gaz, électricité, fibre optique et autre excentricité.

Portion de l’avenue dédiée aux véhicules motorisés. La chaussé est pelée de sa couche de bitume de surface. Sous son épiderme une couche plus épaisse de pavé intriqué dans une sorte de matière de couleur sable moutarde. Des pelles de différentes tailles détachées de leurs machines trônent sur la route dénudée comme des ancres à l’abandon. Un peu plus loin une grosse pelleteuse rectangulaire tressaute et vibre alors que sa pelle s’enfonce entre les pavés et les soulève comme une croute qu’elle arrache. La camion benne rouge reste étonnamment impassible lorsque les pavés s’y fracassent. Sous la croute affleure une matière grossièrement granuleuse et noire. Deux hommes l’un muni d’un casque vert et d’une pelle, l’autre d’un casque rouge et d’un râteau, s’affairent dans ce qui semble une veine tentative d’aider la machine.

Verso

L’homme porte une longue barbe noire qui lui arrive jusqu’au sternum. Parcourue de veinule blanche, elle s’effiloche dans la dégringolade. Les cheveux noirs sont dans le même état d’abandon hirsute que la barbe. Les yeux marrons oscillent entre la supplique et la colère. La chaleur est suffocante. Il porte une veste verte sale et déchirée par endroit. Il s’approche en claudiquant légèrement de la voiture un gobelet en plastique rose dans sa main droite. Le regard hésite entre le bitume et le visage derrière la vitre de la voiture. Derrière la vitre, le visage reste obstinément fixé sur le feu rouge. Le gobelet insiste quelque instant perd courage renonce. L’homme de son pas déséquilibré passe devant la voiture suivante. Le visage derrière cette vitre-là s’absorbe dans des vociférations qui semblent adressées au tableau de bord. Un être s’agite seule dans son refuge de métal refroidit par un moteur qui tourne à plein régime pour recrache ses fumées à la face de l’homme dehors. Une vitre descend. Des yeux bruns – des yeux bleues – un demi second. « Bonne journée ». Des mains s’inclinent et un bref moment suspendu quelque chose s’éclaire dans le visage de l’homme. La vitre se referme. Sur le siège arrière la voix de l’enfant. Pourquoi le monsieur il a besoin d’argent ? Pourquoi il a pas de maison ? Écoute ma chérie on est en retard. J’ai besoin d’une pause de questions. Tu peux mettre la chanson du loup alors.