
RECTO
Un homme âgé se déplace avec une canne dont le bout est enveloppé de sopalin pour éviter les dérapages intempestifs. La canne se pose un peu de biais alors que les pieds, ornés d’orteils en griffe, recroquevillés sur la claquette antidérapante, avancent d’un pas mesuré. L’homme est serein, il a quelque chose qui attire. Dès qu’il passe, les soignants l’interpellent « comment ça va aujourd’hui Monsieur R. ». Il répond à cette question une multitude de fois, toujours avec humour.
Madame R. est malvoyante et sourde. Elle va de soin en soin prestement, sans appréhension, elle ne semble pas gênée par ses handicaps. Elle parle elle aussi de manière chantante arborant un accent occitan.
Les gens viennent d’un peu partout. Il y a tous les âges, ainsi cette jeune fille aux cheveux bleus et au sourire discret, aussi fine qu’une anguille, qui se faufile de soin en soin.
RECTO & VERSO
Les soignantes changent de poste, celle qui tenait le jet pose aujourd’hui des cataplasmes de boue, celle qui supervisait les bains avec douche à immersion, distribue les peignoirs. Alors que je m’étonnais de roulement de tâche, auprès d’une femme de petite taille aux cheveux courts, celle-ci me répond « il faut savoir tout faire ». Elle parle sans sourire et sans austérité. Elle est là pour faire les gestes selon les indications thérapeutiques. Elle a une façon particulière de prononcer les « ch », comme si le « ch » flottait dans une bouche trop grande.
VERSO
Dans les couloirs, le bruit des claquettes antidérapantes en fond sonore permanent, les peignoirs blancs s’assoient, se lèvent, apparaissent, disparaissent. Partout le bruit de l’eau. Elle coule des fontaines, dans les baignoires, au bout de jets. Cachée dans une colonne montante dissimulée dans un faux poteau ou dans le plafond des vestiaires, elle se déverse en quantités monumentales. Fin filet ou jet, l’eau est partout.
Le Hall des Sources impressionne par son architecture art déco et intrigue, car il est divisé en deux. Une partie est ouverte au public, la source Célestin qui n’a pas été enrichie au gaz carbonique par les industriels, est offerte à tous. De l’autre côté de la barrière, un homme observe avec curiosité quelques personnes qui se servent une eau qui coule en permanence. Au-dessus des petits filets d’eau, des noms, Chomel, Hôpital, Grande Grillé, Lucas… Ne peuvent y boire dans leur verre gradué seulement ceux qui sur ordre du médecin ont une prescription notifiée au gramme près.
belle idée le «recto & verso» au milieu, certains des fragments Annie Ernaux sont totalement indécidables vis-à-vis de ces catégories lieux/scènes…
Vraiment propice à la fiction cette ambiance de cure. Et on pourriat tirer parti encore plus des nom de sources. A suivre ?