#Boost 11, 11bis | catabase (variation sur L’Énéide)

Nous avancions obscurs dans la nuit solitaire. Et nous regardions la lune incertaine briller sur le royaume sans vie, ôter aux choses leur couleur. Un orme géant, touffu, indiquait le passage, dissimulant à peine les bêtes monstrueuses : hydres, chimères, gorgones et harpyes. Nous passions sous ses branches chargées des rêves vains cachés sous les feuilles tandis que l’ombre d’un corps à trois têtes grandissait dans l’obscurité. Ma sage compagne m’adjurait de ne pas trembler, alors que saisie d’une terreur soudaine je mettais la main à l’épée. Nous longions la rive bourbeuse au bord du fleuve bouillonnant, vomissant son limon. Un batelier à l’allure épouvantable, barbe blanche, épaisse et hirsute, les yeux en flammes, affublé d’un manteau sordide criait pour que nous n’approchions pas plus près. Il balançait sa gaffe et dirigeait ainsi une barque noircie chargée des morts. Il riait : il est défendu de transporter des corps vivants sur l’autre rive. Ces lieux sont ceux de l’ombre et de la nuit endormeuse. Ma sage compagne secouait le rameau du destin. Il n’en fallait pas plus pour que la poupe sombre se tourne vers nous et que la barque s’arrête sur la berge. Je naviguais alors vers d’autres songes.

L’onde du Styx tremblante annonçait l’approche de son gardien solitaire. Les ombres imploraient déjà les pieds dans l’eau, guettant son passage, les bras tendus vers l’avant, suppliant pour faire partie de la traversée. La foule infecte des âmes damnées s’agitait comme les oiseaux qui s’attroupent quand arrive le premier vent froid pour fuir la mer en hiver et gagner le pays du soleil. Nous regardions le ballet lugubre, happés par le mouvement des défunts, à quelques centimètres à peine du bord, attendant nous aussi le personnage maître des destins. Un batelier à l’allure épouvantable, barbe blanche, épaisse et hirsute, les yeux en flammes, affublé d’un manteau sordide criait pour que nous n’approchions pas plus près. Il balançait sa gaffe et dirigeait ainsi une barque noircie chargée des morts. Il riait : il est défendu de transporter des corps vivants sur l’autre rive. Il revoyait l’arrivée d’Hercule sur le lac, et les deux camarades qui le suivaient, Thésée et Pirithoüs. Il revoyait le héros des douze travaux attraper sa gaffe, sauter à bord, la frêle barque gémissant sous son poids. Il revoyait les violences sacrilèges exercées sur le chien du Styx, traîné, mis aux fers, malgré sa triple gueule, malgré ses crins de vipères. Il revoyait Thésée et Pirithoüs capturer Proserpine, souillant la couche de Dis. Un frisson de terreur le gagnait, qu’il conjurait par le rire, se voyant à nouveau suffoquer jusqu’à ce qu’ils soient enfuis du grand cachot des mânes, du fond du Phlégéton.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.