#rectoverso #01 | plus vivant que vivant

RECTO

Ceux qui arrivaient là, encore hésitants devant les différents stands répartis dans ce clos, où un air frais circulait encore en ce début de matinée, ne savaient sans doute pas qu’ils se trouvaient là comme dans un livre ouvert. Ils étaient accueillis par deux ou trois bénévoles qui leur distribuaient un plan détaillé des lieux où ils pouvaient avoir accès. Des chapeaux blancs, style bob avec le logo de l’Association qui organisait la rencontre, étaient disponibles à un prix très raisonnable. Une sorte d’urne aussi trônait là pour recueillir des éventuels dons, nécessaires au bon fonctionnement de cette association qui fêtait ce jour-là son cinquantenaire.

Le regard des visiteurs qui découvrait le lieu pour la première fois, s’élargissait sur tout l’espace, en appréciant l’étendue et les zones d’ombres où il serait bon de se réfugier sous peu. Mais en premier, ils rejoignaient le barnum où était offert le café. Les jeunes gens qui étaient chargés de l’opération signalaient que le café était fort et qu’il était possible de rajouter de l’eau si on le désirait. Chacun prenait ses marques et son rôle très à cœur. Chaque bénévole était identifié par une étiquette collée sur la poitrine, donnant son prénom et son rôle en cette journée de fête. Si quelqu’un, par exemple celui que l’on honorerait un peu plus tard dans la matinée, décédé un an auparavant et un des fondateurs de cette association, regardait d’en haut les lignes d’erre qu’occasionnaient ces visiteurs, il aurait été amusé des trajets sans beaucoup de sens d’une tente à une autre, juste pour saisir quelque chose de l’ambiance, se repérer à l’aide du plan, puis s’arrêtant cherchant des yeux quelqu’un de connu avec qui se poser sous un arbre, échanger quelques paroles, croiser des regards afin de sortir d’une forme d’anonymat qui peut rendre mal à l’aise.

La cataracte de soleil, si elle était silencieuse, faisait plisser les yeux et gênait la vue lorsque, pour reprendre un peu souffle ou contenance, on entrait dans une des maisons ouvertes pour assister à quelque animation : il fallait du temps au regard pour s’acclimater et distinguer personnes et expositions offertes à la découverte. Les photos ou les visages des bénévoles n’apparaissaient pas tout de suite dans leur plénitude, et cela laissait planer une forme de mystère ou d’inquiétude. Puis des bonjours s’échangeaient, des mains tournaient les pages d’un livre proposé à la vente, qui racontait précisément la vie de cette association depuis cinquante années, avec de nombreuses photos et l’on entendait des propos se croiser pour signifier une présence dans les années soixante-dix ou un peu plus tard, et les cheveux blancs désormais remplaçaient les longues chevelures des jeunes qui posaient fièrement sur les photos et dont on cherchait à retrouver les noms. Pour ceux qui ne savaient rien du passé, une femme, celle qui avait réalisé le livre et l’exposition photos expliquait aux visiteurs ce passé qui pour elle paraissait si présent. Il semblait qu’autour d’elle des spectres l’entouraient comme pour la protéger du désormais maintenant où elle n’arrivait pas à s’installer. Dans chaque échange qui se tramait entre elle et des visiteurs, une petite flamme semblait briller. Certes le temps avait filé, ses cheveux avaient blanchi, mais par ce travail accompli, elle avait redonné vie à la jeune fille qu’elle avait été et aux amitiés qui s’étaient forgées autour de celui qui, lui, avait disparu subitement. Une émotion la saisit lorsque, lors d’un moment plus solitaire, elle se mit à énumérer les personnes qu’elle avait côtoyées dans ce lieu et qui étaient mortes aujourd’hui. Avec une lenteur lourde de toutes ces ombres, elle rejoignit l’espace où un hommage allait être rendu.

VERSO

On aurait presque eu la sensation d’être dans un cloître. Dans une sorte d’intériorité partagée. Les plus âgés avaient récupéré une chaise ou un fauteuil pliant, d’autres s’appuyaient aux murs qui cernaient l’espace, d’autres plus jeunes, se tenaient droits. Un peu tous empreints d’une forme de gravité. Des propos s’échangeaient encore : Oh Philippe c’est toi ! Un autre proposait son siège à quelqu’un de plus âgé, moins alerte. Est-ce que le portail côté route est ouvert ? je dois faire passer un fauteuil roulant. Quelqu’un se précipita pour ouvrir en demandant si c’était Madame L. qu’on allait approcher. C’était ma prof de français en Terminale. La joie dans les regards qui s’échangeaient. Quelques prises de paroles se succédèrent ensuite avec de la gravité mais aussi de l’humour, des sourires. La solennité ici n’était pas de mise. Une grande photo en noir et blanc accrochée sur un mur fut dévoilée. Une photo splendide qui donnait au regard de celui qui était honoré toute la vie qu’il n’avait plus. Il est plus vivant que vivant, murmura sa sœur ainée en s’approchant de cette photo pour être elle aussi photographiée et rejoindre ainsi les archives que l’on dévoilerait dans dix ans peut-être. Peu après le dévoilement du visage et les applaudissements qui lui succédèrent, un cri percutant et dissonant, un cri donc fort et répété vint clore cet hommage tout en simplicité. C’était le cri d’un paon, que l’on ne vit pas mais qui participait à sa manière à ce moment un peu particulier. Il semblait tout savoir du visible et de l’invisible et donnait son avis.

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

3 commentaires à propos de “#rectoverso #01 | plus vivant que vivant”

  1. Merci Solange pour ce texte, on est vraiment plongé dans ces forum associatifs , et le paon de la fin me plait bc !!!

  2. le cri du paon est « léon » – l’ambiance est là toute en tension et volonté – bonne route à toi