#rectoverso #03 | bouillon de mots

Il y a – formule banale dit-on – quand l’enfant s’attarde avant de savoir lire sur la sonorité slave et mouillée de ce qui n’est pas encore trois mots, puis l’enfant trace l’élégante boucle du y à la suite d’un u  bien ouvert qu’elle sublime précédée par l’élévation du l entamé dans l’élan du i, il y a le bras et l’épaule de l’enfant qui lui font une petite danse, l’enfant la répète, en décore son texte. Il y a des petites danses que l’enfance offre à l’enfance, une manière de chercher comment tout ça, ça bouge dedans et on peut recommencer. Il y a des gosses qui laissent leurs jambes décider après qui courir et attrapent à la volée un nouveau prisonnier qui est leur garçon préféré, il n’y a pas de hasard. Il y a des journées d’été qui n’en finissent pas de s’allonger, des images d’enfance qu’un il y a suffit à raviver. Il y a des pères qui parlent peu et c’est tant mieux. Il y a des mères qui repassent sans cesse les mêmes draps, linge sale qu’elle a lavé en famille. Il y a des bains de rivière, les pieds sur des cailloux glissants, et des vautours fauves qui les survolent du haut du ciel. Il y a des tournants et des coups de klaxons, et des pères qui n’ont jamais cassé de voiture. Il y a des jours avec et des jours sans. Il y a des bruits ordinaires et des éclats effrayants. Il y a des coups de sonnette et puis on attend plus. Il y a des petits mouchoirs et on les roule en boule. Il y a des fenêtres qui ouvrent sur des cours fermées, d’autres sur des montagnes, et derrière c’est l’enfant dans une salle, une chambre ou un grenier. Il y a des cartes postales avec le dessin d’un troupeau qui gambade gardé par des hommes aux têtes entourées de turban, et vêtus de longue chemises, un grand bâton à la main, en haut du dessin il y a l’écriture scripte et les mots Voilà les bergers qui vont nous vendre un mouton. Il y a des jours ça va plutôt bien. Y’a qu’à laisser couler. Y’a du feu et des cigarettes. Il y a aussi des jours avec des coups de moins bien,et même pire. Y a moyen de faire comme-ci de rien, se taire suffisamment longtemps, et laisser les enfants sans réponses. Il y a des croisées de chemin qu’on aurait pu ne pas prendre, et puis des incompréhensions qui se donnent rendez-vous et font des rondes endiablées, elles chantent à tue-tête La terre nourrit tout, la terre nourrit tout, les sages, les sages, la terre nourrit tout, les sages et les fous. Il y a des choses que oui.

Oui, il est tout à fait possible d’en faire des chronologies exactes et détaillées. Oui, je m’autorise à dire Tout est vrai, et d’en tirer des fictions plus vraies que natures. Oui, il est ordinaire de toujours user des mêmes ingrédients, mais si le temps de cuisson varie, si la coupe et la taille varient, si les épices se marient bien, alors oui, rien n’aura jamais le même goût. Oui, d’une soupe détrempée on attend autre chose que la banalité de l’eau salée, et un jour d’une des variations possibles de ce bouillon affadi, il est possible, oui, d’en faire surgir sur les papilles un fond de saveur unique, celle d’un os bouilli ou d’un brin de céleri. Pareillement, oui, les mots mêmes simples savent s’organiser de mille manières, et si l’anthropie fiche le bordel entre nous, il suffira, c’est vrai , d’en rire plusieurs fois pour désamorcer les sous-entendus, oui, on le sait.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

11 commentaires à propos de “#rectoverso #03 | bouillon de mots”

    • Bonjour Sylvia, suivre Camille Laurens, presque pas à pas, comme indiqué par François (je le cite dans ma réponse à Catherine Plée) , quant aux métaphores gustatives…mon péché mignon !

  1. J’ai vraiment bien aimé recevoir tous ces champs (chants ?), les goûter tranquillement, approuver en souriant. Merci

    • Merci Louise, la répétition comme ritournelle, et hop ! Une chanson, c’est bien de partager le ressenti, on le fait un peu sans savoir,
      C

  2. j’aime beaucoup Catherine, l’écriture de l’enfant, et les pères qui ne cassent pas de voitures et le monde qui s’élargit autour… comme cet exercice qui m’a tant fait ch… te réussit !

    • Bonjour Catherine,
      Je ne crois avoir pas plus apprécié (à priori)cette consigne que toi, elle semble si étroite, ceci est fortement tempéré par la visite intime d’un texte de Camille Laurens (que je ne connaissait pas) autrice qui me plaît par ailleurs beaucoup, pour ce regard rétroactif (?) , très analytique puisqu’elle écrit une fois les faits derrière elle, qu’elle sait si bien manier dans son écriture.

      Ce qui m’a « libéré », et d’écouter François nous dire « l’accumulation de l’ensemble de ces «il y a», ceux ajoutés par l’ensemble des contributions à l’atelier, c’est depuis la matrice du chapitre de Camille Laurens qu’on va partir à leur conquête » alors j’ai dédoublé l’écran, en haut l’extrait et en dessous le texte qui s’écrit, et va se mettre à résonne en suivant à la lettre le chemin de Camille L., ça commence par la mauvaise réputation et le désaveu de l’expression, puis se déroule selon ses avancées à elle (la guerre = les accidents par exemples — en mode libre association. Accepter les coq à l’âne du coup.

      Et puis deuxième truc dont je parlais à François Bon en off : travailler le recto sans avoir lu ou écouté de quoi sera fait le verso. Manière d’éviter (pour moi) les interférences, que le verso soudain viennent fort prendre le contre pied. (Enfin j’essaie). Alors vient le goût propre du texte, merci de l’avoir apprécié,
      Cat

  3. C’est magnifique Catherine, magnifique…
    et la puissance de ton style
    j’ai tout aimé, depuis les bergers, le feu, les jours sous la vie, le devoir de silence, et les épices pour tout mélanger, tout refaire, et encore un peu de rire

    • Merci Françoise, j’aime ce j’ai tout aimé non par ego, mais car il reste dans le sensuel d’un plat ou repas, on dirait se lécher les doigts – ton retour me touche.

  4. Merci Catherine pour une phrase comme ça,

    « Il y a des petites danses que l’enfance offre à l’enfance, une manière de chercher comment tout ça, ça bouge dedans et on peut recommencer »

    et ces Il y a qui en ne disant qu’un bout de ce qui se cache derrière collent tellement avec le regard de l’enfant, je l’ai en tout cas reçu comme ça

    • Merci Line,
      J’ai senti cette fois que cette écriture servirait cette recherche sur l’enfance – c’est vraiment venu des extraits des passages de Rimbaud, ces versets sont pleins de vues incomplètes – (Camille Laurens passe son texte à les completer et extrapoler pour éclairer l’usage qu’il fait des il y a) – je me suis appuyée sur cette forme. Merci de l’apprécier.

  5. passer par chez toi en fin de course, d’ailleurs j’étais déjà venue, mais je voulais relire une fois de plus avant de déposer des mots
    et je retiens encore comme la première fois ce « l y a des bains de rivière, les pieds sur des cailloux glissants, et des vautours fauves qui les survolent du haut du ciel. » qui me touche plus que les autres, va savoir pourquoi
    et aussi tout comme Line, il y a les petites danses, ce corps qui s’agite gracieusement et qui virevolte sans se douter de ce qui l’attend plus loin…
    il y aussi comme une crainte qui prend à la gorge avec ce « il y a le feu et les cigarettes »
    enfin tu vois, tant d’échos…