Je relis ce texte écrit jadis. Ça parle de ces escaliers, c’est très personnel. Ces escaliers montés et descendus des milliers de fois, vite souvent.
Et puis je retrouve la photo de l’immeuble que j’ai faite récemment, en retournant là bas. Bel immeuble. Pas du tout ce dont je me souvenais. La pierre est dorée, la brique est rose, bien propre, les fenêtres brillent. Dedans ( j’ai pu entrer malgré le digicode) un tapis rouge sur les marches, un minuscule ascenseur…
Ma mémoire remonte à avant les nettoyages, avant la grande campagne de ravalements de Mr. Malraux : l’immeuble, comme tous ceux de la rue, tous ceux du quartier, de la ville, même, était noirci de la poussière du charbon utilisé alors pour le chauffage, ici livré par le bougnat à la carriole à cheval remplacé plus tard par un camion brinquebalant. L’échoppe était dans la rue, celle du cordonnier aussi, et la crèmerie (lait à la mesure dans boîte en métal).
Date de construction gravée dans la pierre (1910), à l’entrée, ainsi que la signature de l’architecte (T. Bouteille). Porte en fer forgé art déco, prémonitoire vu la date de construction. Art Nouveau, peut-être. Brique et pierre.
Et je me documente. Sur l’époque de la construction, sur ce qui a fait que des ouvriers aient alors les moyens d’ occuper un appartement en soupente dans un tel immeuble, un appartement tout en haut, très petit, bien au dessus des étages à fenêtres hautes. Quelles étaient les mesures d’accès au logement qui permettaient, dans ces années cinquante, post guerrières, à de jeunes travailleurs, d’habiter la Capitale et d’y travailler ?
La Carte BatiParis situe la construction du quartier entre 1851 et 1914. C’est donc bien ça.
Il y avait alors un Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme.
Mais cet immeuble-là n’est pas concerné, puisque antérieur à la guerre. Ont-ils eu un simple coup de chance ? Un coup de pouce ? Des relations aidantes ? On me parle d’une loi, en 1948.
Pourquoi ne disait-on rien de ces ‘choses là’, celles de l’argent, des salaires, des besoins, des envies insatisfaites ? Comme une honte à gagner sa vie.