#rectoverso #06 | Vitesse

Recto

C’est un garçon !

La joie d’enfin se conformer aux attentes de l’entour, on a un héritier, les héritières déjà née ne comptent plus.
C’est un garçon ! Les filles vont jouer avec le nouveau né comme avec une poupée, et puis, insidieusement, ne vont plus jouer, mais s’en occuper, comme des mamans de substitution, parce que, un garçon, c’est précieux, fragile, il accapare les intérêts de tous, de toutes surtout.

On le nomme, le baptise, c’est ce qui se fait.

C’est l’héritier. Non pas qu’il y ait grand chose à hériter, mais ce sera à lui, quoi qu’en pensent ses sœurs.

L’héritage, c’est un garage, le seul garage du bourg, il n’aura donc pas le choix, il deviendra mécanicien, puis patron.

Il apprend à conduire, il conduit bien, et vite. Il rêve d’aller plus vite, il rêve de compétition. Quand il peut, il va ‘tourner’ sur le circuit voisin, adore les passages entre virages serrés et lignes droites qui filent vers un horizon dont il connaît la fin.

Il conduit, il passe plus de temps au volant que les outils à la main, soigne mieux sa propre voiture que celles des clients. Il l’a peinte dans un bleu cobalt. La carrosserie est traversée de deux bandes blanches de l’avant à l’arrière – ou l’inverse -, un hommage à la Dauphine Gordini que possédait un grand -oncle qu’il n’a jamais connu mais dont les photos ornent les murs de l’atelier. Il ne sait pas que le grand oncle s’est tué au volant de l’engin.

La voiture lui sert à rouler, ce n’est ni un objet de drague ni un transport familial. De toute façon, tout cela ne l’intéresse pas. Lui, ce qu’il veut, c’est les 24 heures du Mans.

Les sœurs assument le reste et les inquiétudes. La mère est devenue l’ombre d’elle même depuis que son fils unique parcourt les routes à toute vitesse. Sa virtuosité au volant ne la rassure pas, même si elle fait la fierté du père.

Il a vingt ans, il décroche la sélection pour sa course rêvée.

Verso

La Marguerite m’inquiète. C’est ma voisine. Elle a trois filles et un garçon, qui conduit des bolides. La Marguerite s’inquiète, cela la ronge. Oh, elle ne s’inquiète pas pour ses filles, deux seront bientôt mariées, la troisième est encore jeune et suit des études de comptabilité : elle aide déjà le père au garage, fait les comptes de fin de mois, s’occupe des salaires des trois ouvriers et de celui de son frère, employé à l’atelier mécanique. Elle, elle n’a pas de salaire.

La Marguerite passe son temps derrière sa fenêtre. Elle guette, elle écoute, attend le vrombissement connu.

Et il y a ce jour sans vrombissement.

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