#7 – Le fait que l’instant rapide, l’instant seulement d’apercevoir, là, les deux vélos. Le fait que têtes bêches, c’est à dire l’avant de l’un contre l’arrière de l’autre, le fait d’apercevoir un instant le vélo vert et l’autre plus discret, couleur sombre, têtes bêches contre la toile blanche, le fait que les vélos posés sans personne à côté, comme s’embrassant, il y a de plus en plus d’amoureux s’embrassant dans les rues, non ? Comme laissés pour le regard et l’instant d’y poser le regard, à peine un peu de vert contre le blanc, et du mêlé de pleins et de vides, un vélo contre un autre vélo, deux engins laissés seuls, posés l’un contre l’autre. Le fait que les bras pour les tenir, absents, les jambes pour les mouvoir, absentes. Le fait que les corps, bras et jambes, séparés des vélos, des mécaniques, du vert et derrière le blanc de la bâche, et puis le regard, qui se pose, le fait qu’il se pose, mais d’abord balaye, le regard balaye, cherche l’instant, à le fixer, regard pinceau à l’affut, et rien que les vélos, le fait d’arrêter, de poser le regard sur les vélos, les deux constructions habiles à se mouvoir, à être mues. Et les corps absents. Le fait que l’absence de corps et les engrenages emmêlés des vélos arrêtent le regard, le regard en lumière de phare, qui balaye en cercle, cherche la lumière, absorbe l’instant pour y pose le mouvement, le fait que les vélos appuyés têtes bêches n’arrivent ni ne partent, plus de direction à les voir mêlés, guidon contre pare-boue, pare-boue contre guidon, et le vert de l’un et le sombre de l’autre, cœurs métalliques et géométriques, angle et circonférence, rayons et lignes, le fait qu’à cet instant la température, l’heure, l’hygrométrie, la forme des nuages, la date réglée, la bâche, sa blancheur relative, la quantité de carbone composant les vélos, la peinture verte d’un cadre et l’autre couleur d’ombre, le caoutchouc, les valves, les maillons d’acier, les câbles d’acier et les mâchoires d’acier, le fait que de ce que mon regard cherchait là, le contact de mes yeux sur les vélos, le vert emmêlé de noir, la manière de les voir posés là têtes bêches, seuls, et les corps absents, seul le regard sur eux pour les inscrire dans l’instant, et le vertige, la condensation, le fait que l’instant fugace des vélos immobiles, leur ingénue présence, la manière, cadre à cadre, corps absents, mouvement stoppé, d’être tous les instants.
Le fait que le vélo vert soit celui de la tante, que seulement l’enfourcher raconte une autre enfance, à vrai dire deux et maintenant la sienne, le fait que ce matin la fille tenue par la cousine essaie de finir d’apprendre à rouler, le fait que la rue étroite est sûre car peu passante et qu’à cette heure la ville entière soit au marché, on est vendredi ne l’oublions pas. Le fait que les freins sont durs comme pas possible, les pédales en métal herissé de pointes, la selle cartonneuse et fripée, les guidons des protections de caoutchouc blanc grisé par les années et prêts à se déliter, le fait que les filles ne l’analyse pas et n’en soit pas gênées, le fait que la grande tient la selle et pousse l’autre, le fait que l’autre crie arrête et que la grande hurle Pédale, le fait que le vélo vacille, tangue puis se redresse et que l’équipage instable réussisse à rejoindre le bout de la rue sans aide, que s’en apercevant la fille s’agite et mette en péril ce dernier essai, pose un pied, freine et parvienne à s’arrêter, le fait que la cousine pousse un cri de victoire et la rejoigne pour la relancer, le fait de se préparer, un pied sur la pédale, la main qui tient la selle et assiste le démarrage, le fait que les pieds aux pédales, la fille parcourt la rue jusqu’à la porte de bois et appelle pour qu’on la regarde, voilà du moins comment elle le raconte, le fait qu’aux fenêtres se penchent la mère et les tantes et la grand-mère, que fait le père ? Le fait que revenue du bout de la rue, nonchalante, la cousine la tienne une nouvelle fois, que le démarrage tangue, que l’oncle qui observe donne l’ordre à sa fille de ne plus tenir la selle, seulement et à peine le porte-bagage, le fait que l’équilibre n’est rien d’autre qu’un instant éphémère à construire des divers déséquilibres, que la rue étroite même peu fréquentée reste passante, que les cris inverses mêlant ordres et contre-ordre, bouge, arrête, vas-y, freine, mettent la fille en quasi impossibilité de maintenir cet équilibre, le diriger, le stopper ou le continuer, le fait qu’elle tombe, genoux écorchés, menton mâchuré par les gravillons, main griffée et pouce retourné avec pour résultat la honte de se sentir minable, et surtout ridicule avec ces larmes qui coulent, ce nez qui renifle et ce sang le long du cou, et le long de la jambe, le fait d’entendre le père de loin qui ponctue ce qu’il ne regarde pas : la chute à neuf ans de la fille définitivement maladroite, pas sportive pour deux sous, alors appeler pour voir ça, merci, non pas pour lui. Le fait que dans chaque vélo se cache un vélo vert de garçon, datant des années quarante, bas et trapu, acheté à la foire ou récupéré de chez un brocanteur ou un cousin plus vieux, mais ça ira pour elle, il faut qu’elle bouge celle-là, pas comme son aînée toujours un peu à la traîne qui prend le vélo de la grand-mère et ça lui suffit, le fait que la cicatrice au menton disparaîtra, seulement sensible au toucher et encore, que le genou se fera d’autres blessures plus graves et de son pouce retourné qu’elle ne s’en souvienne seulement certain soirs, que le vélo vert reste bien net dans son idée mais qu’elle serait surprise de le retrouver dans un musée de la bicyclette si elle s’y rendait, ce dont elle n’a aucun désir, et n’y pense même pas.
#8 La première fois que j’entends son nom, Johanna, alors que le mien est si répandu, que le sien est si rare si exotique, américain et mystérieux, et qu’avec ce prénom elle me parle, et m’invite à la rejoindre vers cinq heures je pense à un rêve. Je me répète l’invitation et essaie de jouer à m’appeler Johanna, c’est à dire que j’essaie de ressentir ce qu’une fille de mon âge qui s’appelle Johanna ressent, seulement ça ne peut pas marcher, ma Johanna est unique, je ne peux pas ressentir ce qu’elle ressent, surtout car sa colère n’est pas la mienne. Sa colère est virulente, avec un sujet et une explication. La détestation de son père dont elle sait dire qu’elle est irrémédiable, inexcusable. Elle a hâte de ne plus dépendre de lui et le haïe pour toujours. Le soir, vers cinq heures, elle dit qu’elle va faire un tour avec son chien, et je dis pareil mais sans le chien, on se retrouve à la limite des zones permises à chacune de nous pour sortir seule, au bord d’un grand champ entre nos deux quartiers qui finissent d’être construits, chacune voit sa tour de loin, la mienne fait quatorze étages, difficile de la manquer, son immeuble en fait sept ou huit. Elle et moi nous longeons le pré puis le parcourons dans l’autre sens, on suit la bordure sans marcher dans le blé qui finit de grandir, on va et vient, seul compte d’être ensemble et de nous raconter nos pères. Le sien, qu’elle déteste, et moi qui demande comment elle le sait, ce que cela lui fait et surtout pourquoi. Elle me parle du napalm, et de qui le vend ou l’achète, de ce que ça fait à ceux qui en sont arrosés, je m’inquiète de savoir comment elle en est sûre, et de comment l’a découvert. Sans qu’il l’admette, elle a compris : son père mentait depuis longtemps mais cette fois elle en est certaine, c’est le napalm qu’il achète, elle a recoupé ses réponses évasives, le nom des clients, et les sourires moqueurs quand elle aborde le sujet pendant les repas de famille, il possède l’usine, il est le directeur, il fabrique ou fait fabriquer des choses secrètes, ces choses ont un nom. Armes de guerre. Johanna m’explique et elle fulmine, dit qu’elle ne veut plus rien recevoir de lui, ni sa robe vraiment belle, ni sa montre en or, ni ce serre-tête de velours et de petites pierres dans ses noirs cheveux défaits sur les épaules. Elle affirme et dit encore qu’elle ne veut plus rien, plus jamais de chaussures aux couleurs vives, sorte de souliers d’elfes ou de lutins. Toute cette panoplie qui la façonne c’est bien le problème, le père lui donne un argent de poche royal, et elle choisit ce qu’elle veut, des affaires assorties ou hétéroclites, personne ne lui dit rien, pas même sa mère pas souvent là, qu’est-ce qu’elle fait ? et qui s’esclaffe quand elle la retrouve la traitant de petite blanche mal-léchée, Johanna rit à son tour si je demande une explication. Mais de cet argent, de ces affaires, de ces vacances, elle n’en veut plus, ce shopping pour la faire taire et l’acheter, elle, et son silence, elle veut parler, dévoiler ce qui doit absolument rester un secret d’état, elle le lui a dit, elle ne veut plus ni de l’argent ni du secret, seulement depuis six mois elle ne connaît pas autre chose que les beaux magasins de Berne ou Lausanne, ici il n’y a rien, et la réponse à donner sur qui l’interrogerait à propos de son père et de ses activités : il est ingénieur chimiste et travaille pour la recherche. Elle veut que tout change, lui et ses réponses, que son argent soit proprement gagné. Je m’inquiète pour Johanna, essaie de deviner ce qu’elle va faire, partir peut-être, se sauver, nous en sommes au quatrième ou cinquième aller-retour sans qu’aucune solution n’apparaisse, où et comment vivra-t-elle sans cet argent de poche même entaché de crime, comment va-t-elle garder contact avec son père qui l’a trahi, elle voudrait redevenir une enfant crédule — au moins une journée — pour poser sa colère et alléger son cœur, elle aime son père mais ne peut plus du tout l’aimer depuis qu’elle sait, qu’elle a compris de quoi leur vie est tributaire, la mort atroce de milliers de gens, et qu’il n’arrêtera pas son affreux commerce pour sa fille et ses choix de hippy. L’heure tourne, on se dit au revoir cette fois, en confirmant notre prochain et dernier rendez-vous, samedi, dans deux jours. Johanna et moi on aura été amies de mai à septembre, elle est arrivée en fin d’année scolaire, et bientôt l’entrée au lycée nous séparera, je pars suivre mon lycée à huit cents kilomètres de la Suisse. On en parle à peine, peut-être qu’elle en est triste… Elle me fait poser avec elle pour une photo, un polaroïd qu’elle garde.
Drôle de copine, cette française, rien à voir avec mes friends des states, elle connaît pas le Vietnam, la guerre, les massacres et le colonialisme, ses questions sont étranges et tellement naïves. Elle flotte dans son monde de gosse solitaire, et elle me plaît d’être si interrogative, elle s’inquiète pour moi, elle est cute, on dirait qu’elle sait que je ne serai pas là samedi, que j’aurai pris mon sac, mon passeport, mes dernières économies, pas son argent à lui, celui que j’ai gagné en baby-sitting et dog-sitting, que je serai dans un train pour Genève, avant de disparaître en Italie. Lui ne saura pas où me chercher, bienfait, qu’il s’inquiète, et s’il veut me revoir il sait quoi faire. Elle va m’attendre samedi, c’est un peu étrange d’y penser, mais lundi elle part pour la France, elle en parle pas mais ça la travaille. Alors un tour de champ de plus ou de moins… Elle aussi elle doit se reposer de son père mais ne sait pas raconter ni en dire quoi que ce soit, humeurs ou paroles, chez cet homme rien ne va, mais au moins il ne participe pas au commerce des armes, à la mort des gens et la vie brisée de tant d’autres. Alors! Chuchhhh. Sa tristesse, ses petits problèmes, ses questions d’enfant, j’oublie ! Rien ne m’attache ici, ce pays hides the problems, makes everything smooth, et lui je le hais, lui et ses choix, son argent et son hypocrisie, quand il m’a vanté la Suisse j’ai cru au changement, mais ici ou là-bas, business is business ! La voilà qui arrive au bout du champ, elle me sourit avec son air timide, étonnée que je sois venue. Et les bises, on dirait qu’elle sait pas les faire. J’ai envie de lui dire que j’aime les filles, sûre qu’elle ne comprendra pas, et puis on n’a plus le temps, dommage, j’ai trop tardé à l’aborder, trop hésité à l’approcher, trop douté d’elle. Elle est jeune, ignorante mais elle veut aimer, elle veut qu’on l’aime, je l’aurai initiée sans trop de peine, il nous reste à parler du napalm, de mon ass-hole de père et du colonialisme, de l’esclavage et ses conséquences, je crois qu’elle ne voit pas que je suis métisse, elle dit qu’elle adore ma couleur de peau et de cheveux, sans comprendre une seconde qui pourrait bien me les avoir donnés en partage, c’est ça les francaises, aujourd’hui dernière ballade, et un faux rendez-vous prévu pour samedi. Après, elle sera un souvenir tendre, sans plus. Je la prends en photo quand on se dit au revoir. Même si c’est lui qui m’a offert l’appareil. L’image apparaît un peu flou. Elle dit qu’on en fera d’autres, que c’est l’heure de rentrer pour ne pas se faire gronder. Elle file.
#9 En l’occurrence on se concentre sur les couteaux de table. Un modèle de couteau de qualité, en acier, à la forme plutôt neutre, intemporelle, ligne nette, forme de base, lame et manche rond, poids équilibré et objet facile à tenir, un de ces couteaux de la marque qui dans une publicité des années 80 montrait un enfant tancé pour son inattention. On y voyait les marges de ses cahiers couvertes de croquis de vaisselle de table, principalement des couverts mais aussi des plats de services, dessins élégants et joliment tracés. La réprimande d’un surveillant d’un autre âge était sévère, elle mentionnait le nom de l’élève, et révélait le but de cette scène d’enfance réinventée ou pas, elle appartenait à l’inventeur de la marque devenue un standard de qualité et de bon goût, objet de liste de mariage, elle retraçait la vocation précoce du garçonnet, une passion plus forte que tous les obstacles, y compris une scolarité au triste cadre et un succès mondial.
La terrasse orientée au nord est encore fraîche à cette heure de midi, on y mange avec plaisir alors que dans le terrain alentour, malgré de larges bosquets d’arbres, la température n’a pas fini de monter, le terrain est asséché, et l’herbe rase a jauni depuis des semaines. La terrasse de bois avec sa toiture de tuiles posée sur de hautes fermes travaillées avec soin, tenons, mortaise et chevilles apparentes, est un abri agréable. Les convives terminent le repas, les couteaux sont rassemblés, prêts à être débarrassés, quelqu’un en déchiffre la marque gravée, cette marque à la mode longtemps, symbole de qualité. Le cadeau d’une grand-mère modeste à sa petite-fille, pour mes dix-huit ans précise-t-elle, l’aïeule ayant insisté pour lui offrir une ménagère. La petite-fille commente le malaise et l’ennui d’un tel choix, « pour mes dix-huit ans ». Elle dit deux fois « pour mes dix-huit ans », et aussi le mot « une ménagère ».
Le couvercle se referme sur le plateau de fromages, les guêpes sont attirées et menacent l’ambiance de la fin de repas sur la terrasse. Ici à la croisée des régions, aucun fromage proposé n’est véritablement industriel. Apportés de Charente, la collection de fromages de chèvre suscite des discussions, les chèvres elles-mêmes, la vie radicale du couple de fromagers qui se lance dans l’activité sans bien en connaître les contraintes, les déceptions et les dangers, d’ailleurs la principale laitière ne montrait-elle pas des signes de fatigue ? Et ce qui annonce leur succès, les restaurateurs devenus de bons clients, une subvention accordée et des ventes en augmentation. Sans contraintes culturelles et sans enjeux de succession, les deux jeunes gens essaient des recettes dans toutes les directions, par exemple selon celle du camembert, un fromage au cœur moelleux et à la croûte fleurie, ou celle du reblochon, un succès auprès des restaurants, un fromage doux à pâte cuite, à la croûte lavée, au goût fin. Courir les marchés, assurer les traites, engager les transformations, surveiller les affinages, suivre chaque bête de près, il en manque dix encore pour atteindre un équilibre entre les coûts et les revenus nets, une vie choisie mais dure. Un couteau se pose sur un cabécou, la lame y trace une ligne puis une autre, soulève le triangle nacré qui rejoint sur l’assiette une tranche de Salers et un peu de chèvre frais, avec un morceau de pain pour accompagner, et une goutte de vin rouge gardée exprès. Sur la terrasse, un petit souffle d’air venu de l’est traverse l’espace, il atténue la chaleur.
#10 derrière les fagots, cet endroit sombre, velu de toiles d’araignée, de sciure ancienne presque poussière, un interstice, un peu de nulle part entre les paquets de branches et le mur, un mur haut, devenu inutile depuis la fin de l’activité agricole, ce stupide accident de tracteur qui a versé, les amats sont attachés par brassées avec un morceau de sisal, cette corde de noix de coco ou de liane, pas encore la cordelette de plastique bleu qu’on voit partout, une vingtaine de fagots enchevétrés, un peu de place à l’arrière pour une vie arrétée, cadavre de mouche, corps de lézard séchés, crottes de souris, y plonger le regard comme dans une galaxie,
l’œil s’est endurci, sans se souvenir de ce qui a produit ce phénomène, les détails il les néglige, les résultats sont décevants, à quoi bon s’y tenir, cette collection de brins de rien est plus encombrante qu’autre chose, car elle ne raconte pas l’infini variété des ajustements nécessaires pour tout voir
une autre fois, c’est un autre mur, un mur extérieur, une suite de rectangles dans le paysage sauvage, une ligne de pierres qui suit la ligne des prés, de grandes pierre plates, montées pour faire mur, limite, partage, une organisation démesurée si on pense à leur poids, si on mesure leur empan, si on sait la profondeur du creux pour les tenir. Elles installent la collines en longues découpes, entre elles, rien, des prés déserts, nulle bête vivante, nul harde sauvage à mordiller les herbes sèches, nulle plantation, on a dû fauché un pauvre foin rentré depuis longtemps, à l’heure du couchant les pierres prennent des ombres, les murs de pierre grises se distordent sur le sol en jeux d’ombres aux règles précises,
l’œil immobile ne quitte plus son point de fixation central, pourquoi celui-là plutôt qu’un autre un peu plus profond en arrière ou un peu plus à droite, la limite de l’image, ses points forts, une variation imposée à l’œil change tout l’équilibre, sorte de danse subtile, vol nuptial de l’œil dans le paysage,
chaque jour, pendant des jours se placer là, on a fait une marque, ne pas dévier, ne pas manquer l’heure, apprendre l’ennui, le boire sans se plaindre, attendre, viser, attendre, viser encore, ce buisson donnera l’impression de fleurir sous le regard, cette lune de grandir sans accoup, cette vague toujours la même de varier sans cesse, rien de solitaire, un dialogue en une langue d’oiseau
l’oeil n’est rien, une mécanique complexe sans intention, une collaboration entre extérieur jour et intérieur nuit
quelques branches enlevées dans les règles de l’art et la vue est restaurée, d’un côté le Causse noir qu’on voit s’étirer le long de la Dourbie, se dédoubler, et finir au loin dans un épaulement, de l’autre le Larzac, ce coté du plateau qui longe la rivière presque jusqu’à sa source, presqye car elle n’en a pas de source, la rivière s’effiloche en gravissant la pente, multiples ruisseaux, rues et eaux sourdants de trous minuscules, avec à mi-pente une résurgence d’eau glacée qui fait le ruisseau principal, vue d’ici maintenant que le conifère a été rabaissé, la pente du Larzac en courbe lente, la route qu’on devine, ce rocher de profil en forme de sphinx, la crête qui s’assombrit et va buter, illusion des horizons, contre le Causse Noir,
l’œil ne sait pas toujours choisir, se souvenir d’un horizon qui ne se ressemble pas, l’œil s’étonne de ne pas retrouver ce à quoi il s’attendait, ce qui, caché, revient de loin, remet le réel en perspective et le distord
#11
Codicille • des lieux dits et redits • des écarts, la fiction, les temporalités • le besoin d’un non-livre, une construction cependant, une manière de découpage • seulement respirer l’écriture • de la rue étroite en sortir •
Choses de tout temps
Se lever
Se lever matin
Le lever du jour
L’instant rose de l’aube, et c’est l’aurore
Le soleil en astre du jour mis au rang de divinité et on comprend pourquoi quand on se souvient de le regarder chaque jour
L’homme à la montgolfière, celui qui presque mourut, vit la mort de si près qu’il jura d’assister au lever du soleil tous les jours du reste de sa vie.
La jeune femme des forêts des tropiques qui connaît les légendes mais se tait, dit seulement un mot à propos de l’équilibre, du danger chaque matin au lever du soleil de voir revenir les diables du dessous, de la joie du soir de savoir les espaces du dessous bien refermés.
Chose d’une heure seulement
Avaler une médecine
Avaler sans l’oublier une médecine indigeste
Connaître les bonnes et moins bonnes médecines, s’en servir avec reconnaissance
Se plier à la discipline de reconnaître chaque médecine, plantes, fleurs ou champignons, apprendre leur nom, leurs vertus, leurs effets secondaires, leurs contre-effets
Choses de couleurs
En avoir une préférée
Toutes leur donner une chance
Appliquer aux saisons et aux heures les couleurs adéquates
Ne pas s’inquiéter des on-dit si la couleur choisie trop vite ou trop lentement ne va pas avec le lieu ou le moment où elle est vue sur nous
Affirmer des règles de couleurs d’une voix calme, soutenir son point de vue, ne pas se départir de sa certitude et tenir bon face aux critiques basées sur l’habitude, le déjà-vu, le déjà mis, être l’originale qu’on remarque plutôt que la souris qui passe inaperçu d’être conforme au gris ambiant
Choses rêvées
Choses qu’on cuisine
Choses qu’on achète prêtes à manger
Choses écrites verticales
Choses des nuits brûlantes
Choses des mots qu’on doit inventer pour les dire
Choses des bruits indélicats
Choses des comedies et des tragédies
Choses des danses et des silences
Choses des chronologies où tout est vrai
Choses des accidents mortels et on meurt
Choses des accidents mortels et on vit
Choses des mots que personne ne prononce
Choses des choses qui roulent avec nous dessus ou dedans
Choses des paysages qui changent comme changent les villes
Choses des gens qu’on rencontre et après ils nous manquent 👈https://www.maelstromreevolution.org/catalogue/item/837-des-fois-on-rencontre-des-gens
Choses des fantômes des brumes
Choses des pères
Choses des mères
Choses des petits objets utiles
Choses des journées chaudes et des journées froides
Choses des petites et grandes fabriques à mémoire
Ce qu’un vélo peut embarquer ! Et les 2 amies. Et ce coup d’oeil. Et ces choses à venir. Impossible tri, tout régale !
Merci Anne, je ne vois pas l’ensemble, et il n’y est pas, j’ai préféré me remettre dans l’avancée plutôt qu’à la construction, il me faudrait un passage au papier, des schémas, des couleurs, je sens proche et si loin…
je crois que nous sommes en nombre à ne pas voir l’ensemble. Pour ma part, j’ai l’impression que c’est dès que je lâche cet objectif qu’il se passe qqchose avec la consigne, alors je louvoie à boucles larges, remettant à l’après-atelier le travail avec papier, couleur, et scotch, oui. bonnes suites !
il y a dans cette liste de choses de la #11 tellement de poésie
« choses écrites verticales /choses des nuits brulantes / choses des mots que personne ne prononce » , mais aussi du prosaïque, mais surtout de l’enfance, avec toutes ces « choses ….et …. » comme disent les enfants « et après ils nous manquent » « et on vit » « et on meurt », merci Catherine !!
J’ai emprunté la formule à Nadejda Giannoni Perret, au titre de son bookleg, je m’en vais le mentionner, j’en ai fait un mantra face aux paradoxes déjà bien posés dans Le petit Prince – ce texte ne peut rester une référence et pourtant… j’y cherchais ( entre 6 et 10 ans) réparation, et tension, dans la version enregistrée, la voix donc. Cette nostalgie des séparations qui était notre quotidien. Et cette nécessité des rencontres.
C est une déferlante de féminité , d humanité et de poésie . Une tendresse particulière pour l épisode vélos très original, même posés (et non habité)ils sont animés. Et merci pour ces premiers essais , on y est , et l identification marche à fond . Tout le reste les choses qui … magnifique . Impossible de tout commenter .juste Bravo ! Beau moment de lecture . Merci . Catherine .