40 jours – #27 | pas moi, mais mon double

© Bernard Perlongo

dans le froid de 7h30 et une file de huit personnes, elle attend que le laboratoire ouvre ses portes, resserre son écharpe autour de son cou, pense qu’elle aurait dû se couvrir davantage, lève la tête vers le ciel, tourne un peu à gauche, puis un peu à droite, se dit qu’elle a l’air de quelqu’un qui ne tient pas en place, s’imagine vue d’en haut dans son grand imper beige, tournant comme une toupie, observe les gens de dos qui la précèdent, se demande à quoi elle ressemble de dos, s’interroge sur l’heure d’arrivée du premier patient de la file, un travailleur, peintre sans doute étant donné l’apparence de son pantalon, tente de trouver un attrait au minuscule jardin à la française qui se déploie de part et d’autre de l’allée, découvre la frise de galets qui orne le dallage, jette un œil à son téléphone pour vérifier l’heure | trois personnes entrent à l’invitation d’une secrétaire, les autres continuent de faire le pied de grue dehors et elle calcule qu’à ce rythme elle n’est pas près d’avoir plus chaud | comme elle a emporté les 40 exercices pour un carnet d’écrivain, elle jette un œil à la proposition du jour, surprise ! il va falloir observer son double, elle aurait presqu’envie d’éclater de rire | elle se dit que son air béat doit étonner l’homme devant elle qui s’est retournée et dont elle sent le regard sur elle | elle répond au sourire de la dame qui vient de lui succéder dans la file, lui trouve de beaux cheveux longs frisés d’un roux naturel, soupire encore d’attendre | un quart d’heure plus tard, c’est à l’intérieur que se retrouvent quasiment les mêmes personnes, dans un étroit couloir et une salle minuscule, elle décline son poids au guichet, quelle drôle de question pense-t-elle, l’homme devant elle a annoncé soixante-dix, il s’agissait donc de kilos et non de son âge, on ne peut s’empêcher d’entendre ce qui se dit dans si peu d’espace, bonjour la confidentialité, l’exclamation lui vient aux lèvres, dans un murmure | quelques minutes plus tard, devant le dessin d’un téléphone portable barré d’une croix rouge, elle remarque au même moment que la jeune fille arrivée bien plus tard consulte le sien, happée par son écran, avant de s’asseoir sur la dernière chaise disponible, elle invite le monsieur âgé près d’elle à s’y installer, mais non, l’homme décline et elle comprend aussitôt pourquoi quand il est appelé par l’infirmière.

A propos de Marlen Sauvage

Journaliste longtemps. Puis dans l'édition. Puis animatrice d'ateliers après une formation Elisabeth Bing et DUAAE à Montpellier. J'anime encore quelques stages d'écriture, ai contribué aléatoirement au site des Cosaques des frontières, publié quelques livres – fictions et biofictions – participé à plusieurs ouvrages collectifs. Mon blog les ateliers du déluge.